La chose est maintenant un peu caduque au Canada, avec la censure imposée par Meta après l’adoption du projet de loi C-18, à Ottawa, mais aux États-Unis, une première étude en son genre a révélé, à la suite de l’analyse du partage de 2,2 millions de contenus informatifs, l’existence de deux environnements médiatiques particulièrement différents l’un de l’autre.
Des écosystèmes distincts implique des éditeurs à faible crédibilité – ceux qui publient ce qui est parfois décrit comme des fausses nouvelles – contre les éditeurs à forte crédibilité.
L’étude a aussi démontré que si ces deux genres d’éditeurs publiaient souvent de grandes quantités de contenus au même moment, soit dans la droite ligne de la couverture médiatique traditionnelle, ces démarches concernaient souvent différents sujets, mentionne Kelly Garrett, principale autrice des travaux et professeur en communications à l’Université d’État de l’Ohio.
« Ce ne sont pas seulement des différences aléatoires en termes de ce qui est couvert – il semble y avoir un biais systématique, ici », affirme-t-elle.
« Les éditeurs à faible et forte crédibilité présentent bien souvent, à leurs lecteurs, des versions distinctes de ce que sont les sujets les plus importants, à un moment précis. »
Toujours au dire de la Pre Garrett, les résultats pourraient avoir des implications troublantes pour les consommateurs de nouvelles et pour ceux qui tentent de combattre la désinformation sur les médias sociaux. Les travaux ont été publiés dans New Media & Society.
L’étude a été réalisée par une équipe ayant disposé d’un accès à une collection unique de données anonymes provenant de Facebook et s’articulant autour du partage de nouvelles en ligne. L’objectif consistait à examiner le bassin d’informations à faible crédibilité, qui pourraient avoir une influence néfaste sur ce que les gens apprennent à propos de la science, de la politique et de leur communauté.
Les chercheurs ont ainsi examiné plus de deux millions de publications à saveur journalistique qui ont été partagées au moins 100 fois par des utilisateurs de Facebook, entre février 2017 et avril 2019.
Un éditeur était considéré comme ayant peu de crédibilité s’il était inclus dans l’une des six listes de sites web à saveur médiatique à faible crédibilité établies par des vérificateurs et des spécialistes réputés, ou s’il avait produit plus de cinq articles jugés problématiques par les vérificateurs de faits de Facebook. Parmi ceux-ci, on compte Breitbart News et Daily Kos, deux plateformes de l’extrême droite républicaine, aux États-Unis.
À l’opposé, les éditeurs à forte crédibilité ont été identifiés par deux sources académiques établissant une liste de sites de nouvelles traditionnels, dont le New York Times et le Wall Street Journal.
Les chercheurs ont examiné les partages de nouvelles, sur Facebook, pour identifier des moments où plusieurs médias ont partagé des articles sur le même sujet, au même moment. Par exemple, les spécialistes ont recensé plusieurs de ces « grappes » de nouvelles à propos de la famille de Barack Obama, de la Trump Organisation, du service public Medicaid, de la NASA et des prix Emmy, entre autres sujets.
L’étude a révélé que les éditeurs à faible crédibilité s’agglutinaient plus souvent autour des nouvelles à saveur politique et à propos du gouvernement que les éditeurs à forte crédibilité, qui couvraient une plus vaste gamme de sujets.
Les chercheurs ont aussi constaté qu’après des périodes de calme relatif, en termes d’articles publiés, les éditeurs multipliaient les publications pendant certaines périodes. De fait, les deux catégories d’éditeurs semblaient s’adonner à cette pratique en même temps, mais à propos de sujets différents.
De fait, lorsque les médias crédibles publiaient des nouvelles à propos de Donald Trump ou de la NASA, par exemple, les médias peu crédibles, eux, n’emboîtaient le pas que dans 40 % des cas.
« Ce n’est pas rien, mais c’est plus faible que ce à quoi nous nous attendions si la crédibilité ne jouait aucun rôle dans les sujets couverts par ces médias », affirme la Pre Garrett.
L’étude n’a pas permis de déterminer pourquoi les deux genres d’éditeurs se lancent dans des « poussées » de publications sur divers sujets, mais au même moment. Mais, au dire de la Pre Garrett, cela correspond à l’idée voulant que certains médias partisans tentent de contrer des nouvelles négatives à propos de leur camp en se concentrant sur un autre sujet.
L’idéologie, oui, mais pas seulement
Selon la chercheuse, toutefois, l’idéologie n’est pas la plus importante source de division entre les deux types d’éditeurs.
Si les spécialistes ont constaté, sans surprise, l’existence de différences basées sur l’idéologie politique, la plus grande différence entre les sujets couverts découle de leur crédibilité, et non de leur positionnement partisan.
« Nous pourrions nous attendre à ce que les publications conservatrices et libérales agissent comment d’autres médias qui partagent leur idéologie, et elles le font. Mais nous constatons que la différence en matière de crédibilité est encore plus grande que la différence partisane lorsque vient le temps de déterminer les sujets à couvrir », souligne la Pre Garrett.
« En d’autres termes, les préférences des médias pour se pencher sur des sujets couverts par des éditeurs à la crédibilité similaire sont bien plus fortes que celles facilitant la couverture de sujets qui intéressent des médias occupant la même niche idéologique. »
Selon Mme Garrett, cette façon de faire vient compliquer la lutte aux fausses nouvelles, car si les vérificateurs de faits travaillent habituellement en s’appuyant sur un seul article, la multiplication des sujets similaires, de la part des médias peu crédibles, change la donne.
« Nous disons aux gens d’obtenir leurs informations auprès de plusieurs sources pour réduire le risque d’être induits en erreur. Mais cela ne fonctionne pas aussi bien si plusieurs médias peu crédibles parlent de la même chose. »
La solution? S’informer auprès de sources jugées comme étant crédibles, martèle la professeure.