Les évaluations de l’ampleur de la corruption à l’échelle internationale ne permettent pas de révéler les méthodes de plus en plus sophistiquées employées par l’élite, dans les États voyous, pour profiter des réseaux mondiaux afin de gérer leurs finances illicites, affirment des experts, qui lancent une mise en garde en la matière.
Selon ces derniers, des avocats et des facilitateurs professionnels sont employés afin de brouiller les pistes entre les fonds, souvent d’origine douteuse, et l’objectif final, qui consiste à les convertir en biens protégés qu’il est possible de dépenser, en plus de servir à redorer l’image de ces personnes bien nanties et des États qui abritent leur argent.
Ainsi, c’est du côté de la philanthropie, plutôt que de la politique, que l’on trouverait les moyens servant à cette campagne de relations publiques, ajoutent les chercheurs.
Ceux-ci poursuivent en affirmant que les classements de la corruption à l’échelle mondiale ne tiennent pas compte de l’utilisation structurée des gestionnaires financiers, des firmes comptables et des banquiers internationaux, ou encore des responsables des dossiers de citoyenneté, des courtiers, des lobbyistes, des gestionnaires de relations publiques et des avocats.
L’étude, réalisée par Alexander Cooley, du Barnard College; John Heathershaw, de l’Université d’Exeter, et Ricardo Soares de Oliveira de l’Université d’Oxford, est publiée dans l’European Journal of International Relations.
Les auteurs soutiennent que leurs travaux décrivent cette ère de lavage de réputation comme étant celle de l’existence de « sociétés inciviles transnationales ». L »objectif de celles-ci va au-delà des avantages personnels pour plutôt viser les buts politiques et le développement de la puissance autoritaire et kleptocratique. Et ces sociétés se maintiennent notamment en place par l’utilisation d’enquêteurs privés, l’émission de mandats d’Interpol, des mécanismes politiques régionaux et le recours aux tribunaux, affirment les chercheurs.
Au dire du professeur Heathershaw, « il s’agit d’un type de conflit en croissance dans le domaine de la politique mondiale. Les kleptocrates expulsent les militants libéraux de leurs propres territoires et créent de nouveaux espaces pour laver leur propre réputation et construire leurs propres réseaux transnationaux. Pour ce faire, ils embauchent des consultants politiques et des gestionnaires de réputation, s’engagent dans des démarches philanthropiques publiques et établissent de nouvelles relations avec des institutions internationales de grande envergure ».
« Ces stratégies de blanchiment de réputation ne sont ni illicites ni marginales, mais sont plutôt un produit direct des acteurs, institutions et marchés générés par l’ordre international libéral. »
Les auteurs des travaux soutiennent que leur étude démontre comment les relations entre les élites, les avocats et d’autres joueurs peuvent débuter sur une base contractuelle, mais à long terme, peuvent devenir clientélistes, alors que chaque partie accumule des informations sur les comportements « en zone grise », voire carrément illégaux de l’autre.
Dans le cadre de la gestion de réputation au sein de ces sociétés inciviles, les puissants n’hésitent pas à recourir à des « poursuites bâillons » afin de faire taire les critiques et les détracteurs. Comme le mentionnent les chercheurs, ces méthodes « viennent tuer la liberté d’expression qui est nécessaire aux campagnes de mobilisation ».
Par ailleurs, les élites s’installeraient ou résideraient à l’Occident, après être entrés dans le service diplomatique, en obtenant ainsi la citoyenneté ou un droit de résidence, en plus de recourir à des visas d’investisseurs ou en obtenant un deuxième passeport.
Selon le professeur Cooley, « les sociétés inciviles transnationales cherchent à protéger leur propre souveraineté exclusive et l’autorité des régimes en place dans leur pays d’origine, tout en sapant la souveraineté au sein des démocraties libérales, notamment en alimentant des liens clientélistes et en développant leur influence ».