Avec Une soif légitime de vengeance, sa plus récente série, le prolifique scénariste Rick Remender nous entraîne dans un polar sombre et violent où un homme sans histoires habitant le Chinatown de Vancouver se retrouve coincé entre des policiers qui le recherchent pour un crime qu’il n’a pas commis, et un réseau international de tueurs à gages.
Il y a de ces journées où l’on ferait mieux de rester couché. À peine sorti de chez lui, une pluie abondante imbibe Sonny Wen jusqu’à la moëlle. Ses cigarettes sont complètement trempées, et infumables. Il se rend dans une épicerie pour en acheter d’autres, mais ils n’ont pas sa marque. Dans l’allée, un homme ne regardant pas où il va lui fonce dedans. Dehors, Sonny aperçoit un pigeon agonisant sur le trottoir. Il décide d’abréger ses souffrances en le piétinant, mais ce faisant, il macule l’une de ses chaussures de sang, et rate son autobus. Quand il arrive finalement au lieu de son rendez-vous chez une certaine Mary Sullivan, à quelques kilomètres de Vancouver, il est tard, et le soleil se couche. Il sonne, mais personne ne répond. Il constate alors que la porte est entrebâillée. Pénétrant à l’intérieur, il fait une macabre découverte : les cadavres d’un homme et d’une femme nus ligotés sur une chaise. Sonny s’empresse d’effacer ses empreintes des objets qu’il a touchés et quitte les lieux sans demander son reste, mais ne se rend pas compte qu’il a laissé une trace de semelle sanglante sur le ciment devant la demeure. Ainsi s’amorce une mésaventure qui bouleversera sa paisible existence à jamais.
Rick Remender est l’un des scénaristes de comics indépendants les plus intéressants des dernières années. De la science-fiction (Fear Agent, Black Science) à la fantasy (Seven to Eternity) en passant par des récits postapocalyptiques (Strange Girl, Low), il touche à plusieurs genres différents avec la même originalité, et sa seule constante est de mettre en scène des héros atypiques comptant leur lot de défauts, ce qui les rend foncièrement humains.
Il s’attaque cette fois-ci au polar avec Une soif légitime de vengeance, une intrigue qui pourrait être qualifiée d’anti-John Wick puisqu’ici, c’est un homme ordinaire, et non un assassin d’élite, qui se retrouve coincé dans une spirale de violence de plus en plus meurtrière. Sans être aussi sanglante que sa série Deadly Class, la bande dessinée ne s’adresse clairement pas aux cœurs sensibles. Ongles arrachés, éclats de verre enfoncés dans les chairs, énucléation, la violence y est graphique et explicite.
Remender cultive le mystère avec brio dans Une soif légitime de vengeance et ne distille les informations qu’au compte-goutte. C’est au lecteur de se démêler pour relever les indices, et comprendre les tenants et aboutissants du récit.
Très atmosphérique, le premier tome réussit quand même à intriguer et à mettre la puce à l’oreille, bien qu’on ne saisisse pas toujours exactement ce qui se passe, mais il vaut la peine de persévérer, puisque le second volume accélère substantiellement la cadence (ainsi que le niveau de violence), avant d’apporter une conclusion satisfaisante à l’intrigue. Faisant le choix conscient de laisser parler les images, on compte souvent plusieurs pages sans un seul phylactère.
En raison de cette approche très cinématographique, la bande dessinée pourrait facilement être adaptée au grand écran. Le héros, Sonny Wen, possède d’ailleurs une ressemblance frappante avec l’acteur Benedict Wong, qui serait un choix parfait pour incarner le rôle.
De style réaliste et légèrement influencée par le manga, la mise en image d’André Lima Araújo dans Une soif légitime de vengeance est irréprochable, et très agréable à l’œil. Du Chinatown de Vancouver en passant par les forêts de l’Hemlock Valley, la Polynésie française et le Mexique, l’illustrateur reproduit ses décors avec finesse, et on apprécie sa manière de toujours prendre en compte l’usure des objets et de présenter des surfaces contenant de la rouille, de la saleté, du ciment qui s’effrite, de la peinture écaillée ou des graffitis.
Il n’utilise parfois qu’une seule couleur pleine en arrière-plan afin de concentrer l’attention sur l’expression des visages. Il manie aussi l’art de découper l’action en plusieurs cases. Lors d’une course par exemple, il isole un pied battant le sol, une main tentant de garder l’équilibre, ou une goutte de sueur perlant sur le nez du coureur. L’édition française publiée chez Urban est imprimée sur des pages de grand format en papier glacé, ce qui permet d’apprécier la beauté visuelle de chaque planche.
Présentant le meilleur et le pire de la nature humain dans une même et seule histoire, Une soif légitime de vengeance est un polar comme on les aime : adulte, violent, et rempli de zones morales grises. Il s’agit d’une autre série de Rick Remender destinée à devenir un classique.
Une soif légitime de vengeance – Tome 1, de Rick Remender et André Lima Araújo. Publié aux éditions Urban Comics, 128 pages.
Une soif légitime de vengeance – Tome 2, de Rick Remender et André Lima Araújo. Publié aux éditions Urban Comics, 152 pages.
Un commentaire
Pingback: Critique Une soif légitime de vengeance - Patrick Robert