Au pic de la pandémie de COVID-19, au moins 557 millions de travailleurs de l’ensemble de la planète ont été obligés de travailler de la maison. Et jusqu’à il y a quelques mois, plusieurs employeurs faisaient largement la promotion de cette pratique, principalement pour des raisons de santé et de sécurité. Mais une nouvelle étude affirme que les avantages du télétravail sont peut-être compensés par des inconvénients inattendus.
Les travaux, publiés dans le Journal of Business Research, s’intéressent notamment aux autres avantages évoqués par les partisans du télétravail, soit le temps supplémentaire passé avec ses proches, la diminution des coûts de transport et du temps passé pour aller au bureau et en revenir, ou encore une baisse de la pollution atmosphérique.
« Dans l’ensemble, travailler de la maison a été mis de l’avant comme la meilleure façon, pour les employés, de garder une bonne santé mentale et physique, en plus de pouvoir travailler de n’importe où, tant que l’on possède une connexion internet », écrivent les auteurs de l’étude, qui sont rattachés à l’École supérieure de commerce Audencia, à Nantes.
Pour ces chercheurs, cependant, une hausse du temps passé devant l’écran peut aussi avoir des effets indésirables, comme le « technostress », une expression mise de l’avant en 1984 par le psychologue clinique Craig Brod, qui évoquait « une incapacité de gérer les informations et les technologies de la communication d’une manière qui est bonne pour la santé ».
Toujours au dire du Dr Brod, ce technostress serait provoqué par la surutilisation de la technologie au travail ou dans la vie privée, et des chercheurs ont démontré que cela peut entraîner des réactions psychologiques négatives, comme l’épuisement émotionnel.
Dans le cadre de leur étude, les chercheurs ont interrogé 306 travailleurs britanniques qui étaient largement employés à temps plein avant et pendant l’enquête, en juillet 2020. Ceux-ci ont été interrogés à propos de leur expérience professionnelle pendant les confinements liés à la COVID-19, y compris avec les politiques visant à garder les citoyens chez eux, et l’obligation de la distanciation sociale.
En vertu des scénarios de travail à distance, plusieurs personnes ont dû gérer plusieurs plateformes et applications numériques, tout en s’occupant aussi de leur travail, de leur famille et de leurs engagements sociaux.
De plus, rapporte-t-on dans l’étude, les plateformes numériques utilisées à des fins personnelles et sociales « ont exposé les utilisateurs à des informations excessives, contradictoires et suscitant la confusion » qui pouvaient aussi faire augmenter les niveaux de stress.
« Une grande quantité de désinformation et de fausses nouvelles, sur les médias sociaux, ont alimenté la confusion et l’anxiété, y compris des théories de la conspiration qui ont minimisé la gravité de la COVID-19, ou nié carrément l’existence du virus », ajoutent les chercheurs.
Des effets moindres pour les télétravailleurs expérimentés
L’étude indique cependant que les travailleurs qui avaient déjà effectué du télétravail s’en sont mieux tirés, en ce qui concerne le technostress, que les autres employés. Ces mêmes travailleurs expérimentés se sont aussi avérés plus en mesure de gérer des logiciels corporatifs et leur propre temps.
Mais passé une certaine limite, même ces personnes expérimentées ont succombé au stress et ont dit ressentir un sentiment d’aliénation, écrivent les auteurs du rapport. Ainsi, un employé célibataire âgé de 40 ans a déclaré que « pendant le confinement de la COVID et par la suite, ma productivité a augmenté, puisque je n’avais plus besoin de me rendre au bureau, et je ne peux pas avoir de discussions à bâtons rompus avec mes collègues. Cela a fait augmenter ma concentration et ma capacité à produire davantage en moins de temps. Cependant, j’ai pris 15 kilos en deux ans parce que j’avais moins d’incitatifs à bouger entre le travail et l’heure du coucher ».
« De plus, je me sentais de plus en plus déconnecté de mon environnement de travail, de mes collègues et de mon entreprise, ce qui a provoqué du stress », a ajouté cette personne.
« La COVID-19 m’a donné l’opportunité de passer plus de temps avec ma famille et mes enfants. Le premier mois s’est bien passé, malgré ce qui se passait à l’extérieur. Nous profitions du temps en famille. Cependant, avec tous les enfants à la maison, il était difficile de se concentrer et d’accomplir mes tâches. Je m’ennuyais aussi des pauses café avec mes collègues, alors nous avons commencé à organiser des événements virtuels. »
Le problème de la solitude
Au dire des chercheurs, les résultats de l’étude viennent contredire l’idée voulant que le fait de travailler à la maison est meilleur en termes de satisfaction et de bien-être des travailleurs. « Une situation de travail à domicile forcée et prolongée peut aliéner les travailleurs et créer un sentiment de solitude, avec le temps », écrit-on.
« De fait, le travail à distance est associé à moins de rencontre en face à face, de communication interpersonnelle, de liens sociaux, de développement d’un sentiment de communauté et de séances de remue-méninges », ajoutent les auteurs des travaux.
Toujours selon ces derniers, les entreprises ont compris ce phénomène, ce qui expliquerait pourquoi ils ont demandé à leurs employés de revenir au bureau.
« Il semblerait que le fait de travailler de la maison ne sera pas, après tout, la « nouvelle normalité » dans un monde post-pandémie », ajoutent les chercheurs, qui soulignent cependant que cette flexibilité accrue offerte aux travailleurs peut être bénéfique, « tant qu’un équilibre est maintenu, principalement en offrant des modèles de travail hybrides, en plus de tenir compte des préférences et des besoins des organisations et des employés ».