Dans le nord-ouest de l’Iran, dans un Kurdistan aux frontières à la fois floues et détrempées de sang, les villageois n’ont bien souvent pas d’autre choix que celui de devenir des trafiquants, se chargeant comme des mulets pour transporter qui des espadrilles, qui des cigarettes, ou d’autres biens vendus au marché noir. Mais pour ces Oiseaux de papier, le chemin est ardu et rempli d’obstacles potentiellement mortels.
Rédigé par Mana Neyestani, un architecte iranien de formation vivant aujourd’hui en exil politique en France, après la publication d’un dessin qui a provoqué la colère du régime des ayatollahs, Oiseaux de papier raconte ainsi le quotidien bien souvent misérable de ces habitants des montagnes irano-kurdes.
Ces gens tentent, par tous les moyens, de garder la tête hors de l’eau, en accomplissant donc ce périple dans des conditions bien souvent exécrables. Et chacun d’entre eux – tous des hommes, la séparation des tâches selon les sexes étant encore excessivement traditionnelle – traîne non seulement son paquetage, mais aussi son passé, ses obligations financières… Sans compter le poids de sa conscience.
Il ne fait pas ouvrir la première page de cet ouvrage publié aux éditions Ça et Là en espérant une promenade sur un sympathique chemin gravillonné bordé de fleurs; non, on découvre ici le quotidien aussi mortel que banal des gens qui veulent échapper à leur passé, mais qui peinent à se mouvoir sous le poids de siècles d’oppression et de pauvreté.
Entièrement présenté en noir et blanc, sauf avec quelques touches de couleur, ici et là, selon l’intensité dramatique de l’histoire, ce récit évoque à la fois la triste modernité, avec ses téléphones intelligents, mais aussi le passé perdu dans les brumes. Après tout, les cols de montagne n’auront pas changé malgré le frottement des bottes des hommes sur le sol. Et le lecteur revient donc constamment à cette dualité, à cette situation socio-économique en apparence intemporelle, avec ses thèmes tous aussi immortels que sont l’espoir d’une vie meilleure et l’amour, fut-ce un amour interdit.
Témoignage poignant, témoignage difficile, Les Oiseaux de papier est un roman graphique qui jette un regard différent sur la mondialisation et l’impact du capitalisme sur des populations autrefois isolées. Aujourd’hui, semble-t-il, la richesse et l’espoir ne sont toujours pas au rendez-vous, mais au moins, des copies d’espadrilles Nike peuvent être transportées à dos d’homme.
Les Oiseaux de papier, de Mana Neyestani, publié aux éditions Ça et Là, 208 pages