À la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, en 2022, les gouvernements occidentaux ont mis en place une série de sanctions contre des entreprises russes, renforçant du même coup les punitions déjà imposées dans la foulée de l’annexion de la Crimée, en 2014. Dans les deux cas, l’objectif visait à infliger suffisamment de dégâts économiques aux élites russes pour qu’elles fassent à leur tour pression sur le président Vladimir Poutine, histoire de faire marche arrière et mettre fin au conflit.
Cependant, une nouvelle étude basée sur les années suivant l’annexion illégale de 2014 révèle que les sanctions contre la Russie n’ont que temporairement affecté les firmes visées. Après avoir encaissé de modestes pertes de revenus et en matière d’emploi, les compagnies sanctionnées se sont adaptées aux nouvelles règles en réorganisant leurs filiales, en modifiant leurs chaînes d’approvisionnement ou en cherchant à obtenir de l’aide de l’État.
Deux ans plus tard, les entreprises sanctionnées n’étaient pas plus mal en point que les autres compagnies russes épargnées par les mesures.
Les conclusions des travaux portent à croire, écrivent les auteurs de l’étude, qu’un outil important de l’arsenal diplomatique – les sanctions économiques – n’ont que peu d’impact pour contrer ou renverser des gestes agressifs de la part de pays étrangers.
« Nous pensions d’abord que ces recherches allaient démontrer que les sanctions russes avaient fonctionné », a mentionné Alexander Settles, un professeur à l’Université de Floride. « Mais après avoir analysé les données, nous avons commencé à voir ce que nous voyons sur le terrain, soit qu’il ne semble pas y avoir d’impacts négatifs à long terme dans la foulée de ces sanctions économiques. »
L’analyse des chercheurs s’appuie sur des informations à propos des revenus totaux et du nombre d’employés de milliers de compagnies russes publiques, entre 2011 et 2020. Les plus récentes données comprennent 180 entreprises sanctionnées et des centaines de leurs filiales, ainsi qu’un groupe de contrôle de plus de 36 000 compagnies non visées.
« Nous avons vu que les entreprises sanctionnées avaient vu leurs revenus baisser, tout comme leur bassin d’employés, le tout à court terme. Nous avons attribué ces déclins à l’effet immédiat des sanctions, puisqu’une compagnie a besoin d’un bon moment pour s’adapter », mentionne M. Settles. « Mais cet effet n’a pas duré. »
Les sanctions n’ont pas non plus eu le même impact à travers divers secteurs de l’économie, ont constaté les chercheurs. Les compagnies qui s’appuyaient largement sur les exportations s’en sont mieux tiré que les autres, probablement parce qu’elles ont pu ajuster leurs exportations vers de nouveaux marchés.
Les entreprises à saveur scientifique et les compagnies de services professionnels ont perdu plus d’employés avec le temps, possiblement en raison du fait que ces employés ont, eux, trouvé un autre poste, cette fois dans des compagnies non visées par des sanctions ou dans un autre pays.
L’effet temporaire de la plupart des sanctions imposées à la Russie s’explique probablement par les diverses stratégies d’adaptation employées par les compagnies. Cela comprenait le fait d’identifier des marchés d’exportation non restreints, par exemple, en ce qui concerne le pétrole, le fait de vendre beaucoup plus de barils à l’Inde.
L’équipe de M. Settles a aussi découvert l’effet puissamment stabilisateur de l’aide gouvernementale. Le Kremlin a ainsi offert une ligne de crédit aux entreprises sanctionnées lorsque le financement étranger s’est tari, histoire de les aider à réinvestir dans de nouveaux marchés d’exportation, ou dans de nouvelles activités domestiques.
L’impact étonnamment court des sanctions liées à la Crimée porte à croire que les pénalités économiques similaires implémentées après l’invasion du reste de l’Ukraine ne sont probablement pas efficaces. M. Settles voit également des parallèles avec l’Asie, alors que la Chine menace de plus en plus d’envahir Taïwan, et que les États-Unis et d’autres pays occidentaux envisagent d’imposer des sanctions pour neutraliser ce risque.
« Ce que les pays doivent faire, c’est se poser les bonnes questions à propos de leurs programmes de sanctions », dit le chercheur. « Est-ce la bonne politique à mettre en place dans un monde de moins en moins mondialisé, où les gens savent comment s’adapter à des conditions changeantes? »