Dans Huit heures à Berlin, le 29e tome de la série, signé par José-Louis Bocquet, Jean-Luc Fromental et Antoine Aubin, Blake et Mortimer se retrouvent plongés dans une sombre histoire d’espionnage et de doppelgängers durant les belles heures de la guerre froide.
Tandis qu’elle effectue des fouilles dans l’antique cité d‘Arkaïm en Oural afin de trouver des preuves de l’existence d’une civilisation slave antérieure à celle des Latins, Olga Mandelstam fait une découverte étonnante : sept cercueils en planches de pin contenant autant de cadavres dont la peau du visage a été entièrement arrachée. Elle sollicite alors l’aide de son vieil ami, le professeur Philip Mortimer, non pas pour ses talents d’archéologue, mais bien d’enquêteur. De son côté, après l’assassinat d’un agent double dont les dernières paroles avant d’expirer furent « doppelgänger », le directeur du MI5 britannique, le capitaine Francis Blake, se rend à Berlin dans le cadre de l’Opération Prince, une initiative internationale visant à assurer un séjour sécuritaire au Président des États-Unis, John F. Kennedy. Bien que les deux amis se trouvent à des milliers de kilomètres de distance, les deux affaires qu’ils poursuivent seront évidemment reliées par une menace commune, une supercherie qui pourrait changer la face du monde.

Pour leur toute première contribution à l’univers de Blake et Mortimer, les scénaristes José-Louis Bocquet et Jean-Luc Fromental mettent de côté les éléments de science-fiction et de fantastique qui s’insinuent régulièrement dans cette série autrement réaliste, et s’inspirent directement de la littérature d’espionnage, comme les romans de John le Carré ou Ian Fleming, pour créer Huit heures à Berlin, dont l’intrigue prend place en grande partie dans la ville allemande coupée en deux par le « mur de la honte » au moment où la guerre froide bat son plein. Filatures, micros cachés, surveillance, tensions diplomatiques, messages codés, lavage de cerveau et passages secrets sont donc au rendez-vous. L’intrigue compte également des accents de thriller politique, dans la veine du film The Manchurian Candidate, et comme c’est souvent le cas, la science, et surtout ses excès, est à l’honneur dans la bande dessinée.
Au lieu de se dérouler dans un univers parallèle, comme plusieurs des histoires de Blake et Mortimer, l’intrigue de Huit heures à Berlin est ancrée dans la réalité historique et s’articule en grande partie autour de la visite de John F. Kennedy en 1963. Contrairement aux albums récents, dont Le Dernier Espadon ou Le Cri du Moloch, il ne s’agit pas de la suite d’une aventure originale d’Edgar P. Jacobs, mais bien d’un récit indépendant. Les auteurs ne négligent pas de faire des clins d’œil à l’héritage de la série, et en plus de la présence d’Olrik, le scénario mentionne La machination Voronov, le professeur Septimus, et inclut même le commissaire Pradier, un personnage de SOS Météores et de L’Affaire du collier, mais il n’est pas nécessaire de connaître ces références pour apprécier ce 29e tome, qui peut même constituer une porte d’entrée pour ceux et celles qui ne connaissent rien du célèbre duo britannique.

Antoine Aubin n’en est pas à sa première expérience sur la série Blake et Mortimer, puisqu’il a déjà illustré le deuxième tome de La Malédiction des trente deniers en 2010, ainsi que L’Onde Septimus en 2013. Élève doué de l’école de la ligne claire, ses dessins précis fourmillant de détails sont à la hauteur de la signature graphique d’Edgar P. Jacobs, qu’il reproduit ici à la perfection. Ses images du mur coupant Berlin en deux avec ses barbelés, ses miradors et les soldats de la Volkspolizei accompagnés de chiens patrouillant les lieux transmettent bien l’ambiance de sourde menace et de paranoïa planant sur la ville. L’artiste se permet aussi des clins d’œil amusants à travers l’album. À la page 8, il donne les traits de Vladimir Poutine à un officier soviétique par exemple, et ses doppelgängers portent exactement les mêmes vêtements que le Numéro 6, joué par Patrick McGoohan, dans la série culte The Prisoner.
Huit heures à Berlin est l’un des meilleur Blake et Mortimer des dernières années. La bande dessinée saura satisfaire les lecteurs de longue date, mais il risque aussi d’être apprécié par ceux et celles qui n’ont jamais lu un seul album de la série, et qui cherchent une porte d’entrée pour s’initier au riche univers créé par Edgar P. Jacobs.
Blake & Mortimer – Tome 29 : Huit heures à Berlin, de José-Louis Bocquet, Jean-Luc Fromental et Antoine Aubin. Publié aux éditions Blake et Mortimer, 64 pages.
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