Le président ukrainien, Volodymyr Zelenski, qui se montre défiant en proclamant « j’ai besoin de munitions, pas d’une évacuation »; une file quasiment interminable de camions russes coincés non loin de Kiev; les corps d’une famille tuée à Irpin; une femme enceinte blessée transportée sur une civière à la suite du bombardement d’une maternité… Voilà quelques-uns des moments, transmis partout sur la planète, qui ont aidé à solidifier l’appui pour l’Ukraine sur son propre territoire, mais aussi à l’étranger.
Une nouvelle étude de l’Agence suédoise de recherche en matière de défense, la FOI, s’intéresse ainsi aux efforts de communication ukrainiens durant la première année de la guerre contre la Russie.
« Nous voulions mieux comprendre ce qui a fait en sorte que les Ukrainiens ont eu du succès, les obstacles qu’ils ont dû surmonter, ainsi que ce que les autres pays peuvent tirer de ces efforts », a indiqué Ivar Ekman, analyste de la FOI, qui a contribué au document intitulé Ukraine’s Information Front – Strategic Communication during Russia’s Full-Scale Invasion of Ukraine.
L’étude porte sur les efforts ukrainiens en matière de communication, allant des discours officiels aux publications sur les médias sociaux, le tout selon les perspectives de quatre sources différentes : le gouvernement, l’armée, les médias et la société civile.
Dans le rapport, les auteurs offrent des détails sur les conditions en vertu desquelles chaque institution fonctionnait au début du conflit, comment elles ont réalloué des ressources à la suite de l’invasion, le contenu qu’elles ont produit et les succès et les défis rencontrés.
« Lorsque nous avons commencé à examiner ce qui se passait en Ukraine, il est immédiatement devenu clair que les démarches en matière de communication incluaient toute la société, et ne pas tenir compte d’un aspect ferait simplement en sorte que le portrait ne serait pas complet. De plus, selon un point de vue suédois, cela vient évoquer notre concept d’une « défense totale » », a indiqué Per-Erik Nilsson, l’autre auteur du rapport.
Être mieux préparés
Il est important de rappeler, souligne le document, que la Russie est en guerre contre l’Ukraine depuis 2014, y compris du côté de la sphère de l’information. En réaction à une vague croissante d’entreprises de désinformation russe, plusieurs initiatives visant à renforcer la résilience et les capacités ukrainiennes ont été lancées entre 2015 et 2021. Il en a résulté le fait que les Ukrainiens étaient relativement bien préparés lorsque la Russie a lancé son invasion générale, en février 2022.
« Ce fut vraiment choquant quand la guerre totale a éclaté », rappelle M. Ekman. « Mais la menace existentielle de l’invasion russe a fait en sorte que ceux qui participaient aux efforts de communication, des institutions étatiques aux civils qui se portent volontaires, ont uni leurs forces pour utiliser les ressources disponibles à leur meilleur escient. L’un de nos participants a évoqué une « ruche » où chaque personne sait instinctivement ce qu’il faut faire. »
Proactif, plutôt que réactif
Les chercheurs ont rencontré plusieurs personnes, allant de hauts responsables gouvernementaux à des membres des médias et des experts de la société civile. Selon les participants, quatre facteurs expliquent la réussite des efforts ukrainiens en matière de communication : la préparation, la coordination, la vitesse et la transparence.
Plutôt que de réagir et de répondre à la désinformation russe, lit-on dans le rapport, les autorités ukrainiennes se sont plutôt concentrées sur l’information proactive et fiable, réussissant souvent à anticiper et prévenir le prochain geste posé par Moscou.
Humour, memes et trolling
Un autre facteur contribuant aux succès ukrainiens est le style de communication « bien calibré » du président Zelensky, de son épouse Olena Zelenska et de plusieurs hauts responsables gouvernementaux.
La capacité, au sein du gouvernement ukrainien, d’utiliser plusieurs outils médiatiques contemporains « permet de se démarquer de façon draconienne des communications russes », soulignent les auteurs du rapport.
« Les Ukrainiens ont utilisé l’humour, le sarcasme, l’affect, le harcèlement et la défiance… Le tout intégré dans des memes, des gags et même du trolling », mentionne M. Nilsson. « Le leadership politique et les agences étatiques ont rapidement repris les tendances des médias sociaux en matière de communication, avant de les amplifier et de les adapter à des publics spécifiques. »
La flexibilité et la vitesse ont aussi été cruciales pour s’emparer de la structure narrative, au début de l’invasion, plutôt que de devoir démentir des faussetés après que celles-ci eurent été répandues, ajoutent les chercheurs. Cette capacité, mentionnent ces derniers, est à la fois le résultat de la flexibilité et de la préparation organisationnelle, mais aussi d’un niveau élevé de confiance entre les différents acteurs.
Défis
La question de la réaction ukrainienne en matière d’information n’est pas un chemin dénué d’obstacles. Bien que les autorités ukrainiennes ont disposé d’un certain temps, avant février 2022, pour se préparer, plusieurs participants à l’étude ont évoqué un chaos dans les semaines suivant l’invasion.
De plus, alors que la guerre se poursuit, il y a un risque que différentes organisations étatiques développent des « capacités communicationnelles séparées qui pourraient entraîner une concurrence pour les ressources, plutôt qu’une mise en commun », indique le rapport.
« Il est également clair que le camp ukrainien a jusqu’à maintenant réussi à atteindre des publics et à obtenir un appui principalement en Occident », souligne M. Nilsson. « Mais le portrait est franchement différent dans d’autres parties du monde. Dans le Sud, le portrait de la guerre peint par la Russie a un impact bien plus important, ce qui prive l’Ukraine d’un important appui externe. »
À l’avenir, il faudra aussi s’assurer de maintenir le niveau de confiance, d’intérêt et d’appui à mesure que le conflit s’étire. Le rapport ne se penche ainsi que sur la première année de la guerre.
« La guerre est toujours en cours, et la fin est encore incertaine », soutient M. Ekman. « En raison du fait que l’effort de guerre ukrainien dépend très largement du soutien externe, un succès continu sur le front de l’information est primordial. La Russie, quant à elle, pourra évoquer une victoire si l’appui envers l’Ukraine s’effrite. »