Il y a longtemps que le harcèlement en ligne ciblant les femmes fait les manchettes. Sont-elles plus souvent ciblées, ou ciblées différemment? Le Détecteur de rumeurs a vérifié ce qu’en dit la recherche.
Beaucoup de femmes touchées
En 2016, des chercheurs britanniques ont réalisé une étude auprès de femmes journalistes, activistes ou universitaires. Parmi celles qui utilisaient Twitter pour débattre d’enjeux féministes, 88 % avaient été victimes d’abus. Cette proportion était de 60 % sur Facebook.
Le phénomène ne semble pas limité aux pays occidentaux. Par exemple, selon un rapport réalisé en Inde par Amnistie internationale en 2019 lors de l’élection générale, 13,8 % des gazouillis qui faisaient référence à des politiciennes étaient injurieux. Une étude de l’Union parlementaire africaine publiée en 2021 révèle que 42 % des femmes parlementaires ont reçu des menaces de mort, de viol ou de voies de fait, généralement en ligne.
La tendance s’accélérerait. Dans un sondage réalisé par l’UNESCO en 2020 auprès de 900 journalistes à travers le monde, 73 % des femmes interrogées ont dit vivre de la violence en ligne. Il s’agit d’une augmentation par rapport à 2014, alors que la proportion était de 23 %.
Les femmes sont-elles plus souvent une cible?
S’il ne fait pas de doute que de nombreuses femmes sont touchées par le harcèlement en ligne, sont-elles plus nombreuses que les hommes? Dans une étude parue en 2021 et portant sur des données britanniques de l’élection de 2019, deux politologues britanniques soulignent qu’il est difficile de répondre à cette question, car la recherche se base souvent sur des cas anecdotiques ou sur des données qui ne comparent pas le vécu des hommes et des femmes.
De plus, les résultats qui existent se contredisent. Selon des données obtenues par le Pew Research Center et par deux équipes de chercheurs britanniques (Université de Bradford et Université de Salford), les hommes seraient plus nombreux, toutes proportions gardées, à recevoir des messages injurieux.
Dans une étude réalisée sur Twitter en 2019, trois chercheurs de l’Université de Toronto ont par ailleurs observé que plus un politicien est connu, homme ou femme, plus il fait l’objet de gazouillis injurieux. Étant donné que les hommes ont généralement une plus grande notoriété, les politiciens masculins seraient plus souvent victimes de harcèlement. Cependant, lorsque les chercheurs canadiens ont comparé uniquement des politiciens avec le même niveau de notoriété, la proportion de femmes victimes de harcèlement en ligne était plus grande.
D’ailleurs, une autre étude réalisée en 2019, celle-là consacrée à des maires et mairesses des États-Unis, a conclu que les femmes étaient plus nombreuses que les hommes à avoir fait face à du contenu injurieux sur les médias sociaux. En 2020, l’Institute for Strategic Dialogue — un organisme sans but lucratif qui s’intéresse à la haine, à l’extrémisme et à la désinformation — a aussi observé que les candidates, lors de la campagne présidentielle américaine, étaient plus susceptibles que les hommes de recevoir des messages offensants sur Twitter.
Enfin, une étude parue en janvier 2023, réalisée auprès des membres du parlement de l’État de Victoria en Australie, a noté que 52 % des femmes interrogées avaient été victimes de gazouillis injurieux, contre 33 % des hommes.
Un harcèlement différent et des menaces plus fréquentes
La majorité des études observent par ailleurs que le harcèlement en ligne vécu par les femmes est très différent de celui vécu par les hommes. Par exemple, les hommes sont souvent attaqués sur leurs positions politiques. Ils reçoivent aussi davantage de menaces d’attaques à leur réputation, ajoutent les chercheurs de l’État de Victoria.
Alors que, comme l’observe l’Institute for Strategic Dialogue, les attaques envers les femmes sont plutôt basées sur leur apparence physique ou sur l’idée qu’elles n’ont pas les compétences nécessaires pour assurer leurs fonctions. On remet également en question leur légitimité dans le poste qu’elles occupent, ou on réclame leur démission, soulignent les deux politologues britanniques derrière l’étude de 2021, Sofia Collignon et Wolgang Rüdig. Le Women’s Media Center, un organisme sans but lucratif américain, note d’ailleurs que le harcèlement en ligne vise généralement « à remettre les femmes à leur place ».
Collignon et Rüdig insistent sur le fait que les femmes sont plus souvent victimes de menaces d’abus sexuels ou physiques. Plusieurs femmes reçoivent aussi des images explicites non sollicitées, ajoute le Pew Research Center. Selon le sondage de l’UNESCO de 2020 sur la situation des femmes journalistes, ces dernières sont également victimes d’images utilisées hors contexte ou même trafiquées, souvent associées à la pornographie, qui sont ensuite partagées sur les réseaux sociaux.
Enfin, selon ce même sondage, c’est lorsqu’elles abordent des sujets comme le féminisme, la violence contre les femmes, l’avortement ou les enjeux liés aux personnes transgenres, qu’elles reçoivent le plus de commentaires injurieux.
Des attaques qui nuisent à l’égalité
Une telle situation a des conséquences. Selon Collignon et Rüdig, comparativement aux hommes, les femmes victimes de harcèlement en ligne se sentent moins en sécurité. Elles sont d’ailleurs plus nombreuses que les hommes à voir le harcèlement en ligne comme un problème majeur, a observé le Pew Research Center. Celles qui en sont victimes rapportent de plus hauts niveaux de stress associés à cette expérience.
Les politiciennes réagissent parfois au harcèlement en modifiant leur stratégie de campagne, ont aussi remarqué Collignon et Rüdig. Par exemple, elles peuvent diminuer leurs contacts avec les électeurs ou éviter les réseaux sociaux. Ce faisant, elles réduisent leurs chances d’être élues. Selon ces chercheurs, le harcèlement en ligne menace donc jusqu’à l’égalité entre les sexes et peut nuire à une véritable représentation des femmes dans le milieu politique.
Verdict
En chiffres absolus, les hommes peuvent être plus souvent victimes de harcèlement en ligne. Toutefois, si on tient compte de la notoriété, les femmes sont plus susceptibles d’être ciblées. Elles font également face à des formes d’abus plus graves, ce qui peut les décourager de s’impliquer dans la sphère publique.
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