À l’aube de ses 70 ans et afin de célébrer ses 50 ans de carrière, la chorégraphe et interprète Margie Gillis a livré un émouvant solo à l’Agora de la danse jeudi dernier. Très attendu, le spectacle présenté du 9 au 11 mars 2023 affichait complet, si bien que même la supplémentaire du 12 mars était à guichet fermé. Réflexion sur la vieillesse, OLD est une ode à la curiosité, à la sagesse et à la découverte.
Il s’agit du dernier long solo de Margie Gillis sur scène. OLD n’est toutefois pas un au revoir formel, puisqu’elle s’exécutera à nouveau avec d’autres artistes et prévoit participer à divers projets. Cet ultime opus d’une durée d’environ une heure est un cadeau qu’elle nous livre : une incursion dans sa conscience, avec cette authenticité pure qui l’a toujours animée.
OLD explore le mystère de la vieillesse à travers les transformations du corps et celles de l’esprit. La danseuse de renommée internationale aborde le vieillissement comme un processus naturel qu’elle s’approprie grâce à la danse. En gagnant en maturité, les années apportent leur lot de questionnements, de douleur, de défis, de pertes, de deuils, mais également d’accomplissement, de beauté brute, de sagesse, et même de sensualité.
La mémoire habitée
Au début du spectacle, Gillis apparaît sur scène parmi un bric-à-brac d’abord recouvert d’un drap blanc, comme si elle pénétrait à l’intérieur d’une maison que le temps a laissée en suspens. La scénographie de Randal Newman accentue la présentation d’objets comme traces de mémoire. Ces empreintes du passé mettent en lumière différents tableaux que la danseuse exécute avec plus ou moins d’intensité selon les moments.
Ces tableaux, tantôt baignés de lumière chaude, tantôt assombris et évoquant des soirs de tempête, illustrent la vie. Sa vie.
Toutes les émotions qu’elle porte en elle et qu’elle transmet se déclinent à travers le lien qu’elle entretient avec les objets qui jonchent la scène : une porte, une chaise brisée, une horloge, de vieilles lettres, un habit de capitaine de navire, des jouets anciens, une longue cape… Ce sont autant de vestiges des phases de son existence. Douce invitation dans les coulisses de sa vie, la pièce aborde les cycles naturels et les cheminements humains qu’elle a vécu et qui peuvent aussi interpeller les spectateurs.
Outre la mise en scène qui se conjugue parfaitement au thème de la chorégraphie, les choix musicaux remplissent bien leur rôle accompagnateur. Riche, la trame sonore inclut notamment des airs de Bach et Sebastian Zawadzki, en passant par Brel (avec « Les Vieux », une pièce de circonstance), jusqu’aux multiples interprétations du refrain de Savage Daughter de Wyndreth Berginsdottir, que Gillis chante en tapant du pied :
I am my Mother’s Savage Daughter;
the one who runs barefoot, cursing sharp stones!
I am Mother’s Savage Daughter;
I will not cut my hair, I will not lower my voice.
Cette pièce très évocatrice que Gillis interprète avec fougue, pour graduellement s’essouffler, aurait pu être expressément composée pour la danseuse.
L’importance de demeurer curieuse
À travers les mots calligraphiés à l’écran en arrière-plan ainsi que la gestuelle de Gillis et le matériel qui ponctue la scène, la notion de curiosité ressort très fortement de la pièce. En effet, en plus d’être une ode au temps qui passe, OLD est, dans les mots de l’artiste, une curiosité à propos du vieillissement.
La curiosité colle à tout le parcours de cette fée de la danse dont la crinière argentée suit les mouvements telle une extension de son corps. Outre sa chevelure opulente qui rappelle celles des figures féminines des peintures de l’époque préraphaélite, l’interprète aux faciès évocateurs et aux bras qui valsent gracieusement s’approprie cette soif de vivre, d’apprendre, d’être heureuse, maintenant plus que jamais.
Elle se questionne sur le fait de « vieillir consciemment avec volonté et joie ». En fait, c’est un choix. Gillis a choisi d’être curieuse à chaque étape de la vie, la vieillesse en est la suite logique.
Vieille, l’artiste l’est peut-être, selon les standards d’une société sacrifiée sur l’autel de la jeunesse éternelle. Mais toujours enfant, toujours émerveillée, toujours envoûtante, Gillis danse son amour de la vie encore à 69 ans.
Un pari réussi
À près de 70 ans, Gillis réussit encore le pari de connecter avec son public et de ne faire qu’une avec la scène. On la sent très forte, éprise de la vie et des gens. On ne pouvait demander mieux comme dernier long solo de la pionnière montréalaise.
Malgré son nom, OLD suscitera l’intérêt de tous et pas uniquement un auditoire âgé. Nous sommes tous composés de chair et d’os, et nous connaissons tous l’inexorable sort du temps qui passe. L’artiste s’exprime de manière transparente sur la vieillesse de sorte que même un public plus jeune sera interpellé par l’acceptation, la curiosité et la beauté qui viennent avec l’âge. Les années ne sont pas qu’un poids à porter, elles incitent également à la découverte. Comme toujours, la poésie organique de Margie Gillis s’adresse à tous.
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