Est-ce parce que les cas se multiplient? Ou est-ce plutôt parce que les langues se délient et que les femmes sont plus nombreuses à dénoncer? Quoi qu’il en soit, la question du harcèlement et autres crimes du même acabit occupe beaucoup de place dans l’espace public, y compris, prochainement, sur les planches du Prospero, avec Couper. Rencontre avec Véronique Pascal, qui porte et interprète ce projet théâtral.
Couper, peut-être dans le sens de couper les ponts, de s’affranchir. Ou peut-être avec une connotation plus sinistre. La pièce, qui prendra l’affiche à la mi-mars, raconte l’histoire d’une agente de bord qui est poursuivie sans relâche par un homme. On évoque une « énigme théâtrale à mi-chemin entre le thriller noir et l’installation artistique »; de quoi intriguer le public.
« Nous sommes tombés sur ce texte-là vers 2017 », mentionne Mme Pascal au bout du fil, dans le cadre d’un entretien accordé à Pieuvre.ca. « Nous avions fait, avec notre compagnie, un spectacle intitulé La gardienne, dans le cadre du Zoofest. On nous a approchés « pour faire quelque chose dans le style de Cut » », soit la version originale anglaise de la pièce, écrite par Duncan J. Graham.
« La pièce avait été présentée à l’édition d’Édimbourg du festival Fringe… Nous n’avions pas dans l’idée, au départ, d’adapter la pièce. Mais à un moment donné, j’écrivais des versions des bouts, puis j’ai voulu lire le texte, comprendre un peu ce dont il s’agissait. J’ai trouvé ça vraiment fort comme écriture, c’était renversant », mentionne encore Mme Pascal.
Encore aujourd’hui, d’ailleurs, cette dernière dit trouver que le sujet abordé dans l’oeuvre n’a jamais complètement été fouillé jusqu’à en toucher le fond. « J’ai approché Duncan et j’ai dit que nous avions une petite compagnie théâtrale, que nous allions faire ça lentement, trouver un diffuseur et du financement. Et voilà! Aujourd’hui, nous en sommes là », indique Mme Pascal, qui signe non seulement la traduction du texte, mais aussi l’idéation de la pièce, c’est-à-dire « une réflexion sur la place du spectateur dans l’espace » de l’oeuvre.
« Comment le spectateur va réfléchir? Comment est-ce qu’on le déstabilise? Est-ce encore possible de faire cela gentiment? Je suis comédienne, mais je participe aux discussions, comme tous les membres des Compagnons Baroques (le nom de la compagnie théâtrale, NDLR). »
L’ombre du Mal
Était-ce difficile de se plonger dans une oeuvre théâtrale qui parle d’agression et de harcèlement? Bien au contraire, explique Mme Pascal : « J’ai tout de suite vu la pertinence de faire cela. Je sais qu’il y a beaucoup de femmes, d’hommes et de personnes non binaires qui vont se reconnaître, qui ont déjà vécu de telles situations. Et puis, il y a une esthétique du film d’horreur qui vient renforcer notre proposition… Non, vraiment, moi j’assume à 100 %. Et c’est notre travail d’artistes, aussi, d’aller dans ces zones-là pour nous faire grandir, sortir de la superficialité. »
La comédienne mentionne par ailleurs « qu’en tant que citoyens, en tant qu’artistes et en tant que femmes, tout d’un coup, tout se touche ».
« C’est comme créer une opportunité de porter quelque chose qui s’enligne avec mes goûts et mes valeurs. Il est sûr qu’il y a une esthétique… Mais je pense que ce nous vivons en nous, lorsque nous ressentons de grandes émotions, ce sont des films d’horreur. Il y a une tension. Et ce style vient soutenir les grandes tragédies, les grandes peurs que nous pouvons ressentir comme être humains. »
Les nombreuses références au cinéma ne sortent pas de nulle part : à plusieurs reprises, Mme Pascal parle de la « last girl », cette représentation de l’héroïne des films d’horreur qui, dernière survivante du groupe, tente d’échapper au meurtrier. « Est-ce qu’on la suit pour finalement la voir mourir? Ou est-ce qu’on la suit et il y aura un revirement? On ne le sait pas; mais ultimement, elle sera à la fois héroïne et victime. »
Pour renforcer cette idée du harceleur qui n’est jamais très loin, la petitesse de la salle est à l’image des intentions des créateurs du spectacle : en s’installant dans la salle intime du Prospero, on force le public à se trouver pratiquement sur scène, à se rapprocher le plus possible du personnage joué par Véronique Pascal. « Nous sommes vraiment dans la bulle du personnage », dit celle-ci.
« Ce n’est pas un film, mais nous allons puiser dans cet imaginaire-là pour créer quelque chose qui est très théâtral, au final. »
Et comme au cinéma, nous ne sommes jamais loin d’un rebondissement scénaristique; notre héroïne réussira-t-elle à échapper à son harceleur? Est-il possible de se défendre contre ces agresseurs, voire de contre-attaquer? Couper pose la question; pour obtenir une réponse, il faudra plonger tête première dans l’oeuvre.
Couper, présenté au Théâtre Prospero du 14 mars au 1er avril 2023
Texte : Duncan J. Graham
Mise en scène : Marc-André Thibault
Idéation, traduction et interprétation : Véronique Pascal
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