Les grands pollueurs de la planète ne sont pas nécessairement le plus affectés par les effets du réchauffement climatique, mais serions-nous prêts à assumer notre part de responsabilité en hébergeant chez nous des migrants obligés de fuir leurs pays devenus inhabitables? C’est la question que pose Réfugiés climatiques & castagnettes, une bande dessinée d’anticipation signée David Ratte.
On estime que, d’ici 2050, quelques 216 millions de personnes seront contraintes de quitter leur pays et de migrer en raison des changements climatiques, dont les effets seront de plus en plus dévastateurs à travers la planète. La bande dessinée Réfugiés climatiques & castagnettes s’inspire de cette situation, qui semble désormais inexorable, pour mettre un visage humain sur cette réalité. Dans ce récit d’anticipation, le réchauffement climatique s’est accentué au point que certains pays d’Europe sont devenus inhabitables, et les Portugais, les Espagnols et les Italiens doivent maintenant abandonner leurs terres et fuir vers le Nord. Devant cette crise migratoire sans précédent, le gouvernement français réquisitionne tous les logements et les maisons sur son territoire, et oblige les citoyens à partager leurs logis avec des réfugiés.
Le premier tome de Réfugiés climatiques & castagnettes introduit Louis Clémant-Barbier, un jeune Parisien de bonne famille souffrant de troubles obsessifs compulsifs. L’existence confortable de ce dernier est chamboulée lorsqu’il doit accueillir chez lui Maria Del Pilar Gomez y Gomez, une octogénaire espagnole ne parlant pas un seul mot de français. Par chance, ses deux petits-enfants, Nieves et Kiko, sont logés chez d’autres locataires de son immeuble situé au 31 rue Norbert Chevalier, et lui servent d’interprète. Dans le second tome, on assiste à la montée de l’intolérance chez les Français, partiellement responsable du départ de Nieves et Kiko, partis rejoindre leur père en Allemagne. Louis se retrouve alors livré à lui-même avec cette grand-mère partageant son appartement, et il essayera tant bien que mal de surmonter la barrière de la langue et de créer des liens avec la vieille Andalouse.
Loin d’être une œuvre militante, Réfugiés climatiques & castagnettes se concentre surtout sur la dimension humaine, et la façon dont le contact avec l’autre, même s’il est forcé au début, finit par contribuer à l’évolution personnelle de chacun. Le récit aborde également la bureaucratie par la bande, et le traitement souvent injuste réservé aux aînés dans les sociétés occidentales. Le scénariste dépeint très bien l’hostilité et le racisme des Français, dont le mode de vie petit-bourgeois se voit bousculé par l’arrivée de ces milliers de migrants, mais étonnamment, l’album présente très peu le point de vue des réfugiés et leur malaise. Imaginez devoir quitter votre pays et débarquer chez des inconnus possédant un mode de vie bien différent du vôtre, dans ce cas-ci plus individualiste et matérialiste, en plus de vous sentir comme un intrus. Cet aspect aurait certainement mérité d’être un peu plus approfondi.
Les dessins de David Ratte dans Réfugiés climatiques & castagnettes sont la plupart du temps précis et élégants, même si l’artiste possède manifestement moins d’aisance à reproduire les visages ridés et marqués par le passage du temps comme celui de Maria. Ses portraits des rues de Paris, présentés parfois dans des angles de vue inusités depuis les mansardes, savent transmettre les charmes de la Ville Lumière, et il croque les scènes du quotidien avec beaucoup d’efficacité, mais c’est surtout ses images saisissantes, illustrant les ravages des changements climatiques, qui impressionnent. Forêts ravagées par les flammes, méduses et sacs de plastique se partageant les fonds marins, campements de tentes devant les édifices gouvernementaux, foule de réfugiés débarquant à la gare de Lyon, ou une Barcelone presque entièrement engloutie par les eaux, constituent autant de cases marquantes pour les lecteurs.
Les changements climatiques créeront de plus en plus de réfugiés dans un avenir rapproché, et à travers son récit de cohabitation forcée entre deux étrangers qui finiront par tisser des liens, Réfugiés climatiques & castagnettes nous rappelle que nous partageons déjà tous une même maison, qui s’appelle la Terre.
Réfugiés climatiques & castagnettes – Tome 1, de David Ratte. Publié aux éditions Grand Angle, 56 pages.
Réfugiés climatiques & castagnettes – Tome 2, de David Ratte. Publié aux éditions Grand Angle, 56 pages.
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