Sarka Vancurova, collaboration spéciale
Matamoros, ville mexicaine, connait plus que jamais une crise humanitaire et migratoire. Des familles parcourent des milliers de kilomètres depuis le Chili pour tenter de bénéficier du nouveau programme humanitaire américain CBP-One. Un long chemin sur lequel les enlèvements, les extorsions et les agressions deviennent de plus en plus présents. La photojournaliste Sarka Vancurova s’est rendue sur place pour rencontrer les « caminantes ».
« Le Mexique est une jungle pavée », affirme Jorge, qui a subi des extorsions et des violences physiques aux mains de la police de l’immigration au Mexique. Depuis deux mois, Jorge et sa femme squattent dans un bâtiment abandonné à Matamoros et attendent la date du rendez-vous pour pouvoir passer aux États-Unis.
« Il n’y a pas de justice pour les immigrants qui passent par le Mexique, seulement des violations des droits de l’homme », se confie Jorge avec émotion.
Le couple est parti le 3 octobre 2022 du Venezuela, où ils ont laissé leur fille chez de la famille. Ils sont ici photographiés sur le pont international de Brownsville reliant le Mexique et les États-Unis, qu’ils vont traverser pour la première fois dans quelques jours.
L’immigration massive vers la frontière a commencé quelques semaines avant le 21 décembre 2022, date à laquelle le « Titre 42 », la mesure américaine qui limite l’immigration dans le cadre des protections anti-COVID, aurait dû être suspendu. Depuis lors, les réfugiés sont venus à Matamoros dans l’espoir d’un processus d’immigration rapide, mais la plupart d’entre eux sont ici depuis des mois, vivant dans des tentes de fortune, cuisinant sur le feu, dormant sur des matelas à même le sol, dans un espace restreint et des températures basses.
Dans le camp de réfugiés surpeuplé de Matamoros vivent environ 8000 personnes, principalement des familles originaires de pays comme le Venezuela, Honduras, Haïti, Nicaragua et le sud du Mexique.
Elles ont toutes une chose en commun. Elles y attendent leur rendez-vous pour se présenter à la frontière, dans le cadre du nouveau programme humanitaire de Joe Biden, CBP-One App, qui est entré en vigueur le 5 janvier 2023. En vertu de cette loi, ils doivent avoir un parrain ou un familier aux États-Unis, qui dispose de suffisamment de ressources financières pour les soutenir les deux premières années de leur asile. Seulement dans ce cas qu’ils peuvent se voir accorder une entrevue à la frontière et l’accès aux États-Unis.
Des gens nagent dans le Rio Grande, point de séparation entre Matamoros et les États-Unis. Grâce au nouveau programme humanitaire américain CBP-One App pour les migrants, ils ne tentent pas de traverser illégalement. Avant, les gens traversaient quotidiennement sur les matelas pour atteindre l’autre rive du fleuve.
Wilmer, Irianys et leur fille Wilmar, originaires de Maracaibo (Venezuela), ont quitté leur pays en 2018 pour le Pérou, avant d’arriver à Matamoros en décembre 2022. Ils sont restés dans le centre de réfugiés, jusqu’à ce que les cartels décident de les mettre à la porte. Ils ont obtenu leur rendez-vous le 3 février 2023, via l’application, au poste-frontière de Tijuana. « L’application CBP-One plante tout le temps, il y a beaucoup de gens dessus et elle est facilement surchargée. Maintenant, nous ne savons pas comment nous pouvons nous rendre à Tijuana, alors que nous n’avons pas de ressources. Si tu manques ton rendez-vous, il n’y a aucune chance que tu en obtiennes un autre. Aller par voie terrestre est trop dangereux à cause des cartels de la drogue, nous ne pouvons pas prendre le risque » souligne Irianys.
Yexion Quero et sa cousine Dorianny Bravo ont été approuvés par le programme CBP-One, avec une date d’entrée du 28 janvier 2023 aux États-Unis, et obtiendront un permis de séjour temporaire de deux ans. Yexion Quero va vivre à Atlanta avec sa sœur, tandis que Dorianny et son fils vont vivre avec une autre famille à Chicago qui les parraineront financièrement.
« Le seul avantage du programme de Biden est que l’on peut entrer aux États-Unis sans trop de paperasse, mais le reste est le même, nous continuerons à être sans papiers et personne ne vous donnera de bénéfices. La chose qu’ils nous donnent est la permission de travailler. Si vous ne travaillez pas, vous avez un problème », explique Yexion, qui tient une pancarte disant « Je suis du Venezuela, j’ai déjà été approuvé, soutenez-moi de votre cœur, merci ».
Trois jeunes Vénézuéliens se reposent devant leurs tentes, dans le camp. Souvent, ils ne font qu’attendre et s’asseoir devant leurs tentes. « Le nouveau programme CBP-One de Biden nous a donné beaucoup d’espoir et de nouvelles possibilités de rejoindre enfin légalement nos familles aux États-Unis », explique l’homme au centre.
Carmen Hernandéz et Diljana Ramiréz de Venezuela, qui ont squatté une bâtisse abandonnée, font partie des premières personnes à s’être présentées à la frontière, le 18 janvier 2023, dans le cadre du programme humanitaire CBP-One.
Toutes deux ont traversé la frontière américaine de manière illégale en 2022, mais elles ont été renvoyées au Mexique lorsque la mesure « Titre 42 » a été appliquée également aux Vénézuéliens le 12 octobre de cette même année. « À ce moment-là, 1200 Vénézuéliens essayaient de traverser illégalement la frontière américaine chaque jour, car il n’y avait pas d’autre option pour eux ». Maintenant, le CBP-One App est le seul moyen d’entrer en vertu de la loi humanitaire. Cela exhorte les immigrants à procéder légalement, sans accepter les traversées illégales.
Quatre nationalités sont vulnérables en vertu de cette loi : les Vénézuéliens, les Honduriens, les Cubains et les Nicaraguayens. Ceux qui, après le 5 janvier, ont traversé illégalement, ne peuvent pas être éligibles pour faire une demande via CBP-one » affirme Diljana.
Les rendez-vous quotidiens du programme Biden CBP-One sont publiés sur l’application dès 5 heures du matin. C’est à ce moment que l’application devient surchargée et que tous les rendez-vous de la journée sont pris rapidement. Ceci ne s’applique pas seulement à l’entrée de Matamoros, mais à toutes les entrées de la frontière nord. Pour certains d’entre eux, il est beaucoup plus difficile de prendre un rendez-vous, car pour pouvoir le faire, ils ont besoin d’un téléphone plus avancé. « J’ai essayé plusieurs fois, mais le CBP-One est souvent bloqué, il y a beaucoup de trafic, alors ils ne donnent que des rendez-vous limités dans la journée », dit Andy Gonzáles, un Cubain qui ne veut pas être photographié.
Une mère vénézuélienne, avec ses enfants et tous leurs biens, marche vers le « Puente International » pour leur rendez-vous à la frontière, histoire de voir s’ils peuvent entrer aux États-Unis.
Une famille haïtienne est assise près du pont qui sépare la ville de Matamoros, au Mexique, de Brownsville, au Texas. Le « Puente International » est très proche du camp de réfugiés et est accessible aux piétons. Il devient une attraction quotidienne pour de nombreux réfugiés qui viennent ici pour le regarder et prendre des photos. Beaucoup d’entre eux sont émus en l’approchant. Les États-Unis sont si près, mais pourtant si loin pour eux.