Est-il vrai que d’écouteur des « bruits colorés », comme un bruit blanc, rose ou rouge, permet non seulement d’améliorer le sommeil, mais aussi les performances cognitives ? Le Détecteur de rumeurs s’est posé la question.
L’origine de la rumeur
En plus d’écouter de la musique sur YouTube et Spotify, il est maintenant possible d’écouter des « bruits colorés ». Dans cette vidéo, vous pouvez écouter pendant 10 heures, un bruit blanc afin de vous aider à « mieux étudier ». Cette liste de lecture propose 232 bruits roses soi-disant « testés scientifiquement » pour améliorer le sommeil. Enfin, on peut tenter de se relaxer en écoutant cette courte vidéo de bruit rouge, communément appelé brown noise, sur TikTok.
L’utilisation d’une couleur — blanc, rouge, rose — pour qualifier un son découle d’une analogie avec le comportement de la lumière. En physique, la lumière et le son sont représentés à l’aide d’une onde, en forme de vague, dont la hauteur varie selon la fréquence. Lorsque le comportement d’une onde sonore ressemble à celui d’une onde lumineuse, on lui attribue la couleur correspondante (voir encadré au bas de l’article).
Améliorer la mémoire?
Plusieurs études ont tenté de déterminer si le fait d’écouter un bruit blanc en effectuant une tâche, permettait d’améliorer la capacité de mémorisation. Par exemple, en 2007, 42 enfants, dont 21 présentant un trouble du déficit de l’attention avec/sans hyperactivité (TDA/H), ont participé à une étude suédoise sur les effets du bruit blanc sur la mémoire à court terme. Les enfants devaient mémoriser une liste de 12 phrases en étant exposés, ou pas, à un bruit blanc. Les résultats étaient mitigés: les enfants avec un TDAH se souvenaient de plus de phrases lorsqu’ils étaient exposés à un bruit blanc; à l’inverse, les enfants sans TDAH se souvenaient de davantage de phrases lorsqu’ils prenaient connaissance de la liste dans un environnement silencieux.
En 2017, des chercheurs australiens mènent une étude similaire, cette fois auprès de 80 femmes d’âge adulte sans TDA/H. Résultat: les 40 adultes ayant appris de nouveaux mots en étant exposés à un bruit blanc se sont souvenus de plus de mots que les 40 adultes ayant appris les mêmes mots dans un environnement silencieux.
À l’inverse, en 2022, les résultats d’une étude menée par Elisabeth Gauthier, doctorante en neuropsychologie clinique de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), suggèrent que le bruit blanc aurait « un impact négatif » sur la mémoire verbale. L’étude, menée auprès de 36 étudiantes et étudiants universitaires avec et sans TDA/H, conclut que ceux qui écoutent la liste de mots puis la rappellent dans un environnement silencieux, se souviennent de plus de mots que ceux qui l’écoutent et la rappellent en présence d’un bruit blanc.
Questionnée au sujet de l’utilisation des bruits blancs, Elisabeth Gauthier, maintenant neuropsychologue, mentionne avoir des doutes, à la lumière des données, au sujet de l’efficacité du bruit blanc. « Les résultats des études actuelles me semblent insuffisants pour tirer des conclusions ».
Si le bruit blanc a fait l’objet de plusieurs études, ce n’est pas le cas du bruit rouge et du bruit rose. En 2012, un groupe de chercheurs taïwanais a mené une petite étude sur les effets des bruits colorés sur la mémoire de travail. Vingt-deux étudiants universitaires ont été exposés à quatre environnements de travail différents : silence, bruit blanc, bruit rose et bruit rouge. Les résultats pourraient suggérer que la mémoire de travail soit supérieure lorsque les étudiants sont exposés à un bruit rouge ou rose. Mais l’échantillon est trop petit pour être concluant.
Améliorer le sommeil?
D’autres études portant sur le bruit blanc ont tenté de déterminer ses effets sur le sommeil. En 2021, des chercheurs américains ont ainsi passé en revue les résultats de 38 études sur le bruit blanc. Il en ressort, là aussi, que les résultats ne sont pas concluants. Par exemple, sur les 17 études qui utilisent la durée comme indicateur de l’amélioration du sommeil, seulement 4 montrent une augmentation, lorsque des personnes sont exposées à un bruit blanc.
En plus d’observer des résultats parfois positifs et parfois négatifs, les chercheurs soulignent le caractère hétérogène des méthodologies utilisées. Par exemple, 15 études sont menées en laboratoire, 18 dans des résidences privées, et 5 dans des hôpitaux. De plus, l’intensité du bruit blanc (exprimée en décibels), et la durée d’exposition ne sont pas toujours précisées. Cette hétérogénéité amène les chercheurs à qualifier la qualité des études de « très basse » et à recommander que davantage d’études soient réalisées avant de promouvoir l’utilisation des bruits blancs.
Dans ce contexte, une équipe de l’École d’orthophonie et d’audiologie de l’Université de Montréal menée par la professeure Sylvie Hébert, se penche actuellement sur un aspect plus pointu: les effets du bruit blanc sur le sommeil des personnes atteintes d’acouphène. Sylvie Hébert explique que « les personnes qui vivent avec un acouphène entendent continuellement un cillement dans leurs oreilles. La thérapie sonore repose sur une exposition régulière à un bruit, comme le bruit blanc, afin de recalibrer le système auditif, changer le contraste entre le silence et l’acouphène, ou bien, tout simplement détourner l’attention de la personne. »
Verdict
Peu concluant. Les études portant sur les effets du bruit blanc sur la mémoire et le sommeil portent généralement sur un petit échantillon de personnes, ce qui rend difficile la généralisation.