Le Parti républicain, aux États-Unis, a beau avoir réussi à reprendre in extremis le contrôle de la Chambre des représentants – et alors que la défaite a été officialisée au Sénat, où les démocrates s’accrochent –, il lui faudra se réinventer, et surtout présenter un programme économique digne de ce nom s’il espère pouvoir laisser sa trace, estime Chris Griswold, directeur des politiques au sein du groupe de réflexion American Compass.
« Je crois que trois choses sont particulièrement claires, après les élections de mi-mandat : tout d’abord, la majorité des électeurs, qui font partie d’une classe moyenne multiethnique, envoie un message clair aux deux partis politiques en leur disant « nous sommes ici, si vous voulez de nous, nos votes sont disponibles, venez les chercher », et je crois que durant le scrutin, nous avons vu l’incapacité des deux partis de véritablement capitaliser là-dessus », mentionne M. Griswold, dans le cadre d’une entrevue accordée à Pieuvre.ca.
« Deuxièmement, je crois qu’il est clair que l’ex-président Donald Trump est largement responsable du déclenchement d’une conversation à propos des besoins de la classe moyenne et ouvrière. Il n’offre cependant pas, lui-même, une façon d’aller de l’avant en ce sens, et d’aller chercher une majorité avec l’aide des travailleurs et des membres de la classe moyenne. »
« Il y a une limite à ce que vous pouvez faire, en campagne électorale, en étant « l’autre équipe » et en espérant gagner. Il y a une limite à mener une campagne en s’appuyant sur la colère et la rage sans proposer de véritables solutions et espérer gagner. Et c’est de cette façon que le Parti républicain a mené sa course électorale, cette fois-ci, et ce ne fut pas assez pour gagner le Sénat, et à peine suffisant pour gagner la Chambre des représentants, et pendant ce temps, les démocrates ont fait bien mieux que ce à quoi ils s’attendaient, et leurs résultats ont dépassé les tendances historiques pour des scrutins de mi-mandat… »
« Mais même avec ces résultats, vous pouvez voir que les candidats démocrates qui ont adopté un message économique plus populiste, comme le sénateur élu Fetterman, en Pennsylvanie (qui a gagné contre Mehmet Öz, une personnalité de la télévision appuyée par Donald Trump, NDLR), ont eu de bons résultats dans ces régions de certains États que les républicains espéraient gagner ou conserver », poursuit M. Griswold.
Pour ce dernier, les conservateurs et leurs dirigeants, à Washington D.C., « devront offrir quelque chose de concret aux électeurs s’ils espèrent convertir les membres de la classe moyenne et ouvrière, leur proposer un plan économique qui fonctionne pour ces gens. Et pour faire cela, ils devront mettre à jour leurs dogmes économiques, et changer des politiques qui sont supposément conservatrices, mais qui sont en fait des idéologies libertariennes ».
Des politiques populistes, mais aussi de droite
Il ne faut cependant pas penser qu’American Compass, ou encore Chris Griswold, sont des produits de la gauche, ou même du centre gauche; en entrevue, M. Griswold est clair : il se situe à droite du centre, sur l’échiquier politique. Idem pour le think tank auquel il contribue.
Dans la série de politiques mises de l’avant par l’organisation, on trouve des idées qui sont partagées à la fois par plusieurs démocrates et républicains, à savoir la nécessité de renforcer les chaînes d’approvisionnement aux États-Unis pour réduire la dépendance envers la Chine, par exemple.
American Compass propose aussi de s’attaquer à la concentration dans certaines industries, notamment le secteur de la santé, ou encore de mieux réglementer les géants de la technologie en instaurant un système sécuritaire de vérification de l’âge en ligne.
Mais il ne faut pas chercher très loin pour constater qu’American Compass se situe effectivement à droite : on affirme ainsi que la réglementation environnementale, aux États-Unis, nuit grandement à l’industrie manufacturière.
On avance également que les familles des classes moyenne et ouvrière ont une préférence pour les aides financières directes, et pour le fait d’aider l’un des deux parents (généralement les femmes) à rester à la maison pour aider à élever les enfants. Les besoins de ces deux classes sociales sont ainsi opposés à ceux de la classe plus aisée, où l’on préférerait effectivement des services de garde et des congés parentaux.
Des progrès possibles?
Est-il envisageable que les républicains parviennent à faire adopter des lois, si les démocrates contrôlent toujours le Sénat et la présidence? Ou les démocrates voudront-ils mettre de l’eau dans leur vin?
« Nous verrons! », répond Chris Griswold. « Il est arrivé qu’un gouvernement divisé comme cela mène à un blocage. À d’autres moments, des gouvernements divisés ont quand même pu accomplir des progrès. Il y a des exemples dans les deux sens. Selon moi, il existe une question préalable, qui est de savoir ce que le centre-droit veut accomplir, aux États-Unis. Et c’est quelque chose d’interne, chez le Parti républicain. »
« C’est vraiment le débat que je suis de plus près : après tout, depuis les années 1980, le plan républicain consiste à offrir des baisses d’impôts, libéraliser les échanges commerciaux, et offrir d’autres baisses d’impôts. Et nous avons vu l’échec de ces idées, leur incapacité de persuader les électeurs. Chez American Compass, nous oeuvrons à démontrer les impacts de nos mauvaises politiques économiques des dernières décennies. Et donc, il est essentiel, pour moi, que les conservateurs comprennent cela, et qu’ils comprennent que les valeurs conservatrices traditionnelles se trouvent plutôt du côté des familles fortes, des industries nationales solides, etc. C’est ce sur quoi nous travaillons chez American Compass.»
Mais en ce qui concerne une éventuelle collaboration entre démocrates et républicains, Chris Griswold juge que celle-ci existe déjà, dans certains domaines, notamment la sécurité nationale, et la lutte contre certaines dérives du libre marché.
« L’administration Biden a déjà fait beaucoup de choses à ce sujet. Les administrations Obama et Clinton s’inscrivaient davantage dans l’idée du commerce sans limites, du libre-échange. L’administration Biden a posé des gestes pour agir de façon différente, et je crois que c’est ce qui explique, en partie, les bons résultats des démocrates lors du scrutin de mi-mandat. Je pense aussi qu’avec une Chambre contrôlée par les républicains, vous pouvez vous attendre à davantage de gestes visant à limiter l’exposition de l’économie américaine à la Chine. Non seulement ramener des industries aux États-Unis, mais aussi se questionner sur l’intérêt national des investissements américains en Chine. »
Toujours selon M. Griswold, une Chambre sous contrôle du GOP pourrait même aller plus loin en ce sens, que ce qu’a fait l’administration Biden jusqu’à maintenant. « Je crois que la conversation bipartisane a effectivement déjà progressé jusqu’à ce point. »
Ce responsable chez American Compass reconnaît par ailleurs que la lutte interne, chez les républicains, en vue de la nomination d’un candidat pour la présidentielle de 2024, occupera bien du temps et de l’espace. « Mais c’est toujours comme cela; et je suis persuadé que les représentants et les sénateurs républicains réussiront malgré tout à mettre de l’avant des projets de loi et des idées pour faire progresser leurs idées », dit-il. Des idées qui, espère-t-il, proviendront de son groupe de réflexion.