Les personnes souffrant de maladies chroniques consomment plus d’antibiotiques que la population générale, constate une récente étude québécoise. En dépit du fait que les antibiotiques ne régleront en rien leurs problèmes.
Autrement dit, vous souffrez de diabète, de troubles respiratoires chroniques ou cardiaques, ou même de problèmes de santé mentale: vous être plus à risque de vous faire prescrire des antibiotiques.
Et on remarque même une hausse de ces prescriptions chez les personnes âgées, soutient Élise Fortin, chercheuse à la Direction des risques biologiques de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), et auteure principale.
Donnés longtemps à tort pour combattre les infections virales, les antibiotiques visent plutôt à éliminer la croissance des bactéries. Au Québec, les prescriptions de cette classe de pilules semblent se stabiliser chez les adultes, et même reculer chez les enfants, mais elles augmentent ces dernières années chez les patients atteints de maux chroniques.
Les patients qui en recevaient le plus, ont constaté les chercheurs, avaient une maladie respiratoire (47% de plus que la population générale), du diabète (36% de plus), une maladie cardiovasculaire (34 %) ou des troubles mentaux (39 %). C’est ce que montrent les données croisées avec celles du Système intégré de surveillance des maladies chroniques du Québec (SISMACQ).
Les chercheurs tenteront de pister dans une prochaine étude les aînés de plus de 65 ans, ceux chez qui les ordonnances ne concorderaient pas avec les recommandations (guidelines) de la santé publique: chez les aînés, elles sont en hausse de 28%.
Ce que ces chercheurs peuvent toutefois dire, pour l’instant, c’est que certaines franges de la population sont plus à risque de trop recevoir ce type de pilules, comme les plus jeunes, les filles ou les femmes âgées souffrant de maladies chroniques. C’est particulièrement notable, pour l’asthme, au sein des quartiers plus défavorisés ou dans le nord du Québec.
L’amoxicilline serait l’antibiotique le plus prescrit : rien que pour les années 2016- 2017, ce médicament représente près de 50 % des ordonnances chez tous les enfants – et même sans maladie chronique. Il est aussi fortement donné chez les enfants avec asthme (36 %), chez ceux avec des troubles mentaux (37 %) et chez les enfants diabétiques (23 %).
« Tout le monde et toutes les tranches d’âge sont à risque de se faire prescrire des antibiotiques. Et les prescriptions en général augmentent dans le temps, tout dépendant du type d’antibiotique: de 10% à 41% chez les adultes québécois entre 2002 et 2017. Le taux d’ordonnance augmente avec l’âge dans toutes les catégories d’antibiotiques.
Une résistance en hausse
Les personnes qui souffrent de maladies respiratoires, et même de Covid longue – 15% des Canadiens infectés par le SRAS – seraient aussi plus à risque de recevoir un antibiotique, en dépit du fait que le SRAS est un virus, et non une bactérie. Il est vrai toutefois que certains malades développent des infections bactériennes.
« À part les infections urinaires où c’est très prescrit, on ne connaît pas toutes les raisons de ces surprescriptions, mais les maladies chroniques apparaissent comme une des raisons, avec deux fois plus que chez ceux qui font des maladies respiratoires. Ce qu’il faut se demander, c’est comment réduire cela », ajoute encore la chercheuse.
Comme on le sait, la surprescription d’antibiotiques au cours des dernières décennies a accéléré le développement de souches de bactéries résistantes aux antibiotiques. L’antibiorésistance est à la hausse au Québec, tout comme ailleurs dans le monde: on estimait en 2019 les conséquences à près de 5 millions de décès « associés », dont 1,27 million directement liés à cette résistance. Au Canada seulement, le nombre était estimé à 5400 décès en 2018.
Certaines bactéries ne réagissent tout simplement plus à ces pilules et se propagent aisément – par exemple, certains staphylocoques (SARM) de la bactérie E.coli, ou encore certaines souches de gonorrhées, une maladie transmissible sexuellement, qui est à la hausse au Canada.
« Il nous faut mieux accompagner les prescripteurs, généralement les médecins généralistes, pour qu’ils se conforment un peu mieux aux normes. C’est à nous aussi de mieux diffuser les guides de gouvernance, de partager l’état des connaissances, même si c’est souvent difficile de changer les pratiques », admet Élise Fortin.
L’augmentation de la résistance rallonge le temps de traitement des infections, les séjours à l’hôpital et les complications liées aux maladies. Ce qui n’est bon ni pour le malade, ni pour le système de soins, déjà suffisamment sous pression.
Par contre, la pandémie a permis de tisser des collaborations plus étroites entre les équipes de santé publique au Canada, ce qui pourrait bénéficier à la surveillance de l’antibiorésistance.
Un portrait québécois
Au Québec tout comme au Canada, il nous manque en effet un portrait complet de la prescription des antibiotiques et de leur utilisation par la population, commente la Dre Dao Nguyen, qui n’a pas participé à cette recherche. L’étude arrive donc au bon moment, selon elle.
La directrice du Centre de résistance antimicrobienne au Département de médecine de l’Université McGill rappelle que la prise d’antibiotiques chez les patients sujets à des maladies chroniques est un sujet important et que les différentes régions et pays ont des données très différentes, en raison de leurs pratiques très diverses.
D’où l’importance des données locales. « Cette publication appartient à une série de premières études québécoises sur la question et j’ai été plaisamment surprise par les résultats – je m’attendais à pire! Les prescriptions suivent majoritairement les recommandations avec des taux de conformité très élevé (80-95%), dans la vraie vie et pas dans les études cliniques », souligne la Dre Dao Nguyen.
Malgré l’anomalie que représentent les malades chroniques, l’experte juge donc que l’étude ne révèle pas un gros problème de prescriptions excessives. À son avis, « ce n’est pas là qu’il faudra faire des interventions futures en matière de gouvernance des antibiotiques ».
Par contre, l’étude ne nous dit pas, par son design, si le nombre de prescriptions s’avèrent toutes justifiées – en d’autres mots, si on en a donné alors qu’il ne le fallait pas. « C’est un chiffre important à connaître pour éviter les sur-utilisations. Nous ne sommes pas en mesure de connaître cette donnée et, à mon avis, le surdosage s’avère toujours un problème moindre qu’une mauvaise prescription chez une personne qui n’en a pas besoin », soutient l’experte.