Qui dit internet dit forcément sexe, ou pornographie. Impossible de penser au web sans penser aux échanges sulfureux sur un logiciel de clavardage, aux images osées de basse qualité glanées dans des recoins obscurs, ou encore, pour évoquer un exemple plus récent, à OnlyFans. Et dans son essai How Sex Changed the Internet (and the Internet Changed Sex), la journaliste spécialisée Samantha Cole fait le portrait de deux phénomènes de société indissociables.
« Voilà cinq ans que je couvre le secteur de la technologie comme journaliste, et plus spécialement l’intersection des technologies et de la sexualité », lance d’abord l’autrice lors d’une entrevue réalisée en début de semaine.
« Une bonne partie de mon travail porte sur la sexualité, les questions de genre… Et ce livre est une sorte de vaste regard sur la façon dont ces choses se sont développées avec le web. Nous commençons avec les débuts du web, et nous suivons l’évolution jusqu’à ce que nous voyons aujourd’hui. »
Une bonne partie du livre est effectivement consacrée à un retour dans le passé, d’abord avec les premiers systèmes d’échange en ligne, ces systèmes de babillards électroniques communautaires où l’on pouvait trouver des gens souhaitant discuter de mêmes sujets. Et parmi ces sujets, il y avait bien sûr la question de la sexualité.
Non pas seulement l’idée de rencontrer des gens et d’avoir des relations sexuelles – bien que cela ait occupé (et occupe toujours) un espace très important en ligne –, mais aussi le désir de trouver des gens qui nous ressemblent. La communauté LGBTQ+ s’est d’ailleurs rapidement tournée vers le web, notamment parce qu’il était possible d’y être anonyme, à une époque où le fait d’être attiré(e) par des personnes du même sexe était particulièrement mal vu, voire illégal.
Sur internet, même à ses débuts, il est aussi possible d’explorer les questions d’identité et de genre.
Une histoire incomplète
Mais ces percées et ces avancées, qu’il s’agisse justement de l’exploration des questions de genre, ou encore des premiers sites web pornographiques amateurs, ou encore du premier site où une webcam prenait, à heure fixe, une photo d’un individu, même lors de moments intimes, sont largement disparues dans l’éther numérique. Sites fermées, serveurs éteints, compagnies mises en faillite ou rachetées… l’histoire du web, et qui plus est l’histoire du sexe sur le web, n’a été que peu ou pas préservée.
« Ce fut difficile » de retrouver des traces de ce passé, reconnaît Mme Cole. « Certaines archives ont été préservées par des gens qui ont justement géré ces pages et ces sites, à l’époque, mais j’ai dû moi-même agir comme archiviste, pour préserver des pages web, des notes, en prenant des captures d’écran quand je le pouvais. On ne sait jamais quand un site peut fermer ou disparaître. »
Malgré la difficulté de retrouver certaines pages de cette histoire du web pour adultes, Mme Cole mentionne que les personnes impliquées dans cette sorte de défrichage d’une frontière alors encore peu définie étaient heureuses de parler de leur contribution. « Je ne pense pas qu’on les appelle tous les jours pour leur demander de parler du site web créé en 1996 avec les gifs un peu ringards, les artefacts en javascript… C’était un aspect important de leur vie, à l’époque, de développer des sites web et de s’exprimer; ces gens étaient donc heureux de ressasser des souvenirs. »
Évoquer l’évolution de la sexualité en ligne revient aussi à parler de contrôle; car face à chaque avancée de la liberté de s’exprimer ou d’explorer un monde jusqu’alors réprimé, il y a aussi les institutions en place qui, pour une raison ou pour une autre, ont tenté d’empêcher cette dissémination de points de vue divergents.
Dans son livre, Mme Cole évoque notamment comment l’industrie des logiciels et des jeux vidéo érotiques a été interdite d’accès au Consumer Electronics Show durant les années 1990, par exemple. Mais il est aussi facile de penser au site Tumblr qui, il y a quelques années, interdit les contenus pour adultes… et qui a failli disparaître pour cette raison.
« Vous avez de plus en plus accès à des expériences diversifiées et différentes, en ligne, par exemple les personnes trans, qui ont maintenant des lieux où se rassembler, où échanger. Je crois que cela a été l’un des aspects les plus positifs de l’internet en général. Mais en même temps, il y a la censure, des gens qui ont peur de tout cela, qui ne veulent pas que cette liberté d’expression existe. Si l’on prend l’exemple de Tumblr, l’entreprise a effectivement interdit les contenus NSFW, il y a quelques années, et cela a pratiquement éliminé leur public; bien des gens sont juste partis parce qu’ils étaient là pour parler de leur sexualité, de leur expérience… »
Et comme le mentionne Mme Cole, Tumblr a un peu fait marche arrière, récemment, en annonçant que la nudité serait admise, mais pas les contenus érotiques. « C’est une distinction intéressante! », juge l’autrice.
À travers ce maelstrom technologique, la sexualité est toujours présente, qu’il s’agisse des questions de protection contre l’exploitation, avec PornHub, ou encore des sites (et des applications) de rencontre, qui sont maintenant partie intégrante de la vie culturelle et sociale. Et n’en déplaise à ceux qui voudraient entièrement aseptiser le web – les annonceurs sont encore très chatouilleux à propos des contenus à caractère sexuel, après tout –, la sexualité est un aspect essentiel de l’humanité, et l’essai de Samantha Cole prouve qu’il en a toujours été ainsi… Et que le phénomène devrait perdurer.
How Sex Changed the Internet (and the Internet Changed Sex), de Samantha Cole; publié aux éditions Workman, 259 pages