Près de 700 ans après la grande épidémie de peste noire, plusieurs Européens en portent encore la marque dans leurs gènes. Avec des conséquences imprévues.
Amenée en Europe par des rats, la bactérie Yersinia pestis a provoqué entre 1347 et 1352 ce qui reste la plus grande catastrophe épidémiologique du dernier millénaire. La peste était connue depuis longtemps : elle avait provoqué d’autres épidémies, la « première vague », à partir de l’an 541, étant connue sous le nom de peste de Justinien. Mais celle de 1347 fut particulièrement virulente : elle aurait tué, dans certaines régions, jusqu’à la moitié des adultes en âge de travailler.
Les historiens ne s’entendent pas sur les chiffres exacts, et ils débattent aujourd’hui encore des écarts dans les taux de décès qui sont apparus d’une région à l’autre. Mais les généticiens, eux, ciblent depuis la fin des années 1990 une série précise de mutations qui ont pu accroître les chances que certaines personnes résistent à cette maladie.
Or, dans une nouvelle étude parue le 19 octobre dans la revue Nature, certains de ces généticiens écrivent que cette défense immunitaire est venue avec un prix: ceux qui portent encore aujourd’hui ces mutations héritées de leurs ancêtres, sont plus à risque de souffrir de troubles immunitaires comme la maladie de Crohn.
S’ils ont raison, ce serait un exemple de sélection naturelle à l’oeuvre: dans toutes les populations d’êtres vivants depuis des centaines de millions d’années, des individus porteurs d’un « avantage » évolutif survivent et transmettent cet avantage à leurs descendants. Mais la différence ici est qu’il y aurait une conséquence à cet avantage, qu’il est encore trop tôt pour mesurer, même après 700 ans.
L’équipe qui publie dans Nature a analysé des fragments d’ADN dans 318 squelettes enterrés dans trois cimetières britanniques entre les ans 1000 et 1500, incluant 42 victimes de la peste noire. Ces chercheurs ont observé 245 mutations associées à notre système immunitaire qui sont devenues beaucoup plus répandues après l’épidémie. Ça ne prouve toutefois pas qu’il s’agit des mutations qui ont protégé de la bactérie: certaines ont pu simplement profiter d’un coup de chance, dans un contexte où autant de gens sont morts en peu de temps. Mais 35 de ces mutations se sont répandues beaucoup plus vite que les autres, au point où seule la sélection naturelle peut les expliquer, affirment les chercheurs dans leur article.
Ils sont de plus arrivés à des résultats similaires avec 198 squelettes du Danemark ayant vécu entre les années 850 et 1800, et ils ont même ciblé avec encore plus de précision quatre mutations qui se sont répandues aussi vite dans les deux endroits.
Ça n’explique pas pourquoi cela favoriserait, en retour, la maladie de Crohn, sinon que le système immunitaire est impliqué dans les deux cas. Et il n’est pas impossible que de futures recherches découvrent que ces gènes offrent une protection à d’autres maladies que la peste.