Tout juste avant de prendre l’avion pour le Vieux Continent, dans le cadre de sa tournée européenne, l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) et son chef, Rafael Payare, ont proposé, la semaine dernière, un ensemble de trois pièces qui, si leur union n’est peut-être pas idéale, témoignent certainement de la volonté de l’orchestre de mélanger les genres.
Mélange des genres, oui, car ce concert, donné le 13 octobre, s’ouvre sur quelque chose de rarement vu, ou plutôt rarement entendu, entre les murs de la Maison symphonique : autre chose que du « classique » dans le sens traditionnel du terme.
Bien entendu, l’OSM a déjà donné dans ce qu’il conviendrait d’appeler une plus grande expérimentation musicale, mais on a souvent senti, notamment avec l’ancien chef, Kent Nagano, que l’on souhaitait demeurer à l’intérieur d’un certain cadre. Avec M. Payare, cependant l’exubérance et l’audace semblent davantage être au menu.
La preuve? La toute première pièce de cette soirée, qui comprend pourtant du Ravel et du Chostakovitch, s’intitule Elysium; composée par Samy Moussa, elle implique une plongée dans le monde mystérieux et étonnant de la musique électronique, des synthétiseurs et de la science-fiction.
Bien entendu, personne n’a sorti les claviers électroniques, pas plus que l’OSM n’a installé de machine à fumée ou de lasers dans la Maison symphonique. Impossible, toutefois, de ne pas penser à la bande sonore du film Tron Legacy, par exemple, une excellente création du tout aussi excellent duo Daft Punk.
L’effet est tel, en fait, que l’on s’attendait justement à ce que les percussions embarquent et que le public se mette à danser.
Pour le reste de la soirée, la place était plutôt laissée à l’exploration : celle des sons, mais aussi celle des mondes respectivement créés par Ravel et Chostakovitch.
Pour le premier, le Concerto pour piano en sol majeur, avec les services de l’excellent pianiste Vikingur Olafsson, comprend un savant mélange d’influences classiques et contemporaines. D’un rythme endiablé, on passe soudainement à quelque chose de plus lent, qui va même jusqu’à évoquer les berceuses.
À certains autres moments, il nous venait en tête les images de la séquence de Fantasia 2000 reprenant les notes et l’atmosphère de Rhapsody in Blue, de Gershwin.
Bref, avec sa structure étonnante et surprenante, et surtout avec une interprétation hors pair au piano – peut-être aussi avec un peu trop d’affect, osera-t-on dire –, ce concerto de Ravel était entre de bonnes mains.
Et les mains étaient tout aussi stables et expérimentées, si l’on peut dire, pour la Symphonie no 10 en mi mineur de Chostakovitch.
Encore là, le choix des oeuvres sourit à M. Payare et à l’orchestre, même si on ne peut s’empêcher de juger qu’entre Elysium et les deux autres pièces, on peut trouver un fossé musical. Heureusement, le travail du chef et de son orchestre consiste notamment à bâtir des ponts, ce qui fut fait sans aucun problème.
De fait, on peut peut-être retrouver une partie de l’aspect étrange d’Elysium dans cette symphonie. Avec ses longs moments d’incertitudes, ses notes qui semblent attendre une réponse d’une puissance inconnue, Chostakovitch franchement bien avec les codes du genre, sans jamais tomber dans l’excès.
Sur cette île mystérieuse baignée par les rayons d’un intrigant coucher de soleil, on retrouve un chef d’orchestre totalement en contrôle de ses moyens, qui se passe même du lutrin, dans un maelström de mouvements et d’indications qui combinent une certaine volonté de se faire désirer et un empressement, à l’instar d’une machine qui pourrait s’emballer.
On l’a déjà mentionné, mais il convient de le répéter : sous Rafael Payare, l’OSM ébranle les colonnes du temple musical. Les résultats en sont parfois surprenants, mais impossible de nier que l’aventure n’est pas passionnante.