Abordant des thèmes aussi touchants que la guerre, l’homosexualité et l’exil, La fin du commencement de Fadi Malek et Anne Villeneuve est une bande dessinée intimiste, dans laquelle un Libanais dans la trentaine se voit obligé de s’éloigner des siens afin de se rapprocher de sa véritable nature.
Proposant un récit que l’on présume autobiographique, l’action de La fin du commencement alterne entre le Liban et le Québec. Le personnage principal, Fadi (ce qui signifie « celui qui se sacrifie » en arabe), se demande si les prénoms ont la capacité de marquer par leur sens la vie des gens et, à la lueur de l’histoire racontée ici, on aurait tendance à croire que oui. Le parcours du jeune homme semblait pourtant tracé d’avance. Ses parents avaient décidé qu’il serait médecin, mais en raison de ses résultats scolaires, il deviendra plutôt architecte. Élevé dans une famille catholique pratiquante, il redoute de décevoir les siens puisque, dès l’âge de 13 ans, plutôt que de reluquer les jeunes filles de son quartier, c’est plutôt les hommes débarquant derrière chez lui pour venir travailler dans le petit village de Darban qui attirent son regard.
La fin du commencement offre tout d’abord un regard privilégié sur le Liban, un pays déchiré de 1975 à 1990 par une guerre civile qui fera près de 250 000 victimes. La bande dessinée parvient à décrire avec brio le quotidien des gens ordinaires pris en otage par le conflit, et qui devaient se mettre à l’abri lors des bombardements pouvant survenir n’importe quand. Pas évident de mener un semblant de vie normale lors des trêves toujours trop brèves, alors que le cours de l’existence se voit sans cesse troublé par des clashes armés, des explosions soudaines, ou des tireurs isolés faisant feu au hasard sur la population. Féru d’Histoire, Fadi se réfugiera alors au sein de son propre monde, et aura de longues conversations amicales avec nul autre que Winston Churchill au cours de ses rêveries éveillées.
Comme si vivre sous les bombes n’était pas déjà assez éprouvant, La fin du commencement s’attarde aussi sur un conflit beaucoup plus personnel. Il n’est pas évident de faire son « coming out » lorsque les gens de sa propre famille se moquent du coiffeur un peu trop efféminé et que l’oncle Gibran, un intellectuel à l’esprit ouvert à qui le jeune homme avait pensé se confier, considère l’homosexualité comme une punition divine. C’est la raison pour laquelle Fadi décide d’immigrer au Québec à l’âge de 29 ans. Bien que les gays soient beaucoup plus acceptés à Montréal qu’au Liban, il continuera tout de même de se cacher, et quand ses proches l’appellent pour avoir de ses nouvelles, Il s’invente une vie « convenable », parfois assez éloignée de la réalité, afin de les rassurer et surtout d’avoir la paix.
Tracés au feutre, au crayon de plomb et à l’aquarelle, les dessins en noir et blanc d’Anne Villeneuve dans La fin du commencement sont très stylisés, et éminemment sympathiques. Sa mise en image ne tend pas vers le réalisme, mais possède plutôt une facture caricaturale, évoquant parfois celle du défunt Jean-Pierre Girerd. L’illustratrice reproduit aussi bien les paysages enneigés du Québec et les maisons typiques de Montréal, avec leurs balcons et leurs escaliers en colimaçons, que ceux du Liban, où les chameaux et les ânes côtoient les voitures dans les rues. Quelques scènes, comme celles de la vie quotidienne dans les abris anti-bombes ou celle des étudiants en liesse à l’Université de Beyrouth au moment de l’annonce de la fin de la guerre en octobre 1990, sont particulièrement puissantes et émotives.
On apprécie les livres mettant en lumière des réalités différentes de la nôtre, et c’est exactement le cas de La fin du commencement, une bande dessinée qui dépeint le Liban des années 1980, tout en nous faisant découvrir le Québec sous un angle différent, à travers le regard d’un immigrant homosexuel.
La fin du commencement, de Fadi Malek et Anne Villeneuve. Publié aux éditions Nouvelle adresse, 184 pages.