Madame America. Le nom dit tout: Hillary Clinton militante, avocate, première dame, sénatrice, secrétaire d’État, candidate à l’investiture démocrate. Et comme il fallait s’y attendre, l’ampleur du personnage de la vie publique chez l’Oncle Sam n’a d’égale que sa complexité. Dans un ouvrage séparé en 100 « clés » pour mieux comprendre Mme Clinton, les journalistes Richard Hétu et Alexandre Sirois s’attardent à la démystification de celle que la gloire – et le scandale – accompagnent depuis près de 40 ans.
« Madame Clinton est une personnalité politique incontournable aux États-Unis de par son influence, de par sa puissance, et elle veut devenir la femme la plus puissante du monde depuis un certain temps. Déjà cela, à la base, c’est intéressant », lance M. Sirois, au bout du fil, lorsque vient le temps d’expliquer le choix de l’ex-première dame comme sujet de l’essai politique.
« Deuxième chose, au fil des activités auxquelles elle participait que nous avons couvertes, au fil des entrevues que nous avons menées avec des gens qui l’appréciaient, qui la connaissaient… nous nous sommes rendus compte que c’est quelqu’un qui est mal connu en général. Le grand public la connaît peu, et elle-même a déjà affirmé être « probablement la personne la plus célèbre que vous ne connaissez pas vraiment ». Nous nous sommes dit qu’il était temps que ça change, et nous avons voulu parler de sa vie, de ses accomplissements, de ses victoires, mais aussi de ses échecs. »
Car oui, Mme Clinton n’est pas étrangère aux problèmes. De fait, les écueils ont parsemé sa carrière depuis les tout débuts, alors que ses adversaires s’en sont donné à coeur joie pour tenter de la dépeindre comme étant incompétente, voire carrément corrompue.
« Nous avons 100 morceaux, dans ce livre-là, 100 clips pour comprendre Hillary; on avait l’impression de faire face à un casse-tête, et un par un, on a collé les morceaux, et nous espérons que nous avons pu aider à comprendre Mme Clinton. Évidemment, Hillary elle-même a publié une biographie et des mémoires de son temps au département d’État. Ce sont des volumes de 700, 800 pages… Et vous savez comment c’est: elle voulait devenir présidente, alors c’est vraiment ennuyant, voire soporifique! Nous voulions un peu donner une solution de rechange à ceux qui veulent la connaître, mais qui ne veulent pas de plonger dans des mémoires de politiciens qui, en général, ne sont jamais très intéressants. »
Si les premières pages sont plus « tranquilles », alors que les auteurs distillent des informations à propos des parents et de l’enfance de Mme Clinton, le rythme accélère rapidement au fur et à mesure que l’on tourne les pages, l’essai allant jusqu’à adopter ce qui pourrait bien ressembler à un soap opera, ou une télésérie dramatique. « On ne s’est pas ennuyés, c’est sûr! », lance M. Sirois, en parlant de ses démarches avec son collègue Richard Hétu. « La vie de Mme Clinton en elle-même ressemble à une série télé ou un roman, avec sa part de scandales… Pour moi, l’espèce de « pic » de la vie de Mme Clinton fut la course contre Barack Obama en 2008 – qui a une résonance particulière chez moi parce que j’ai beaucoup couvert cet événement. Cela fut le sommet de sa carrière; quelque chose d’à la fois remarquable et triste pour elle, puisqu’elle pensait vraiment l’emporter, et elle s’est fait damer le pion par un candidat qui a surgi un peu de nulle part. Oui, sa vie se lit comme un roman, et cela ne nous a effectivement pas déçus. »
Une structure quasi-littéraire, donc, pour cet ouvrage qui, s’il adopte une position quelque peu professorale, n’en est pas moins un résumé de la vie (et de l’oeuvre, pourrait-on dire) de celle qui se retrouve politiquement coincée entre la possibilité d’une victoire à la présidentielle et une retraite.
À travers l’essai ayant nécessité un an et demi de travaux et de rédaction, on apprend entre autres que Mme Clinton a brièvement pensé se présenter à l’investiture démocrate de 2004 contre John Kerry, candidat malheureux dans la lutte pour déloger George W. Bush. S’agissait-il de l’ultime occasion manquée d’Hillary?
« C’est très difficile à savoir, commente prudemment M. Sirois. Je pense qu’elle-même doit se poser la question: c’est un peu ce que je souligne dans le livre, puisque nous ne saurons jamais ce qu’elle en pense véritablement, à moins qu’elle nous le dise à la toute fin de sa carrière, mais c’est très difficile de revenir dans le passé et se demander ce qui se serait passé. Ce qui est certain, un, c’est que George W. Bush n’allait pas bien. Mais ce qui est aussi certain, c’est que George W. Bush disposait de l’un des conseillers les plus machiavéliques, sacrément rusé qui n’avait pas peur de traîner ses rivaux dans la boue en la personne de Karl Rove. C’est ce que M. Rove a fait avec John Kerry, et ça a été diablement efficace. Il aurait peut-être été aussi efficace contre Hillary Clinton, et Mme Clinton a pensé à ça. Elle avait aussi promis à ses électeurs de conserver son siège au Sénat. Elle aurait de graves problèmes d’image si elle s’était lancée sans avoir effectué au moins un mandat. On ne saura jamais si elle a eu raison ou tort, mais c’est certain que si elle perd cette fois-ci, elle va regretter de ne pas s’être lancée dans la course en 2004. »
Sanders, Trump, la montée des populismes?
Considérée par plusieurs comme la candidate du « système », la politicienne d’expérience ayant un peu trop trempé dans les affaires de l’État pour être entièrement honnête, Mme Clinton traîne comme un boulet son image de femme ambitieuse, peut-être prête à tout pour conserver le pouvoir. Les républicains l’ont bien compris, et s’acharnent sur elle, et cette méthode date de près de 40 ans. Depuis l’attaque contre la représentation diplomatique américaine à Benghazi, en Libye, en septembre 2012, les molosses du GOP n’en démordent pas: à leurs yeux, Mme Clinton est indigne d’occuper la plus haute fonction du gouvernement américain, une position qu’est venu renforcer le récent film de Michael Bay, 13 Hours: The Secret Soldiers of Benghazi.
Mme Clinton sent aussi le sol se dérober sous ses pieds, alors que Bernie Sanders, candidat autoproclamé « socialiste » et originaire du Vermont, tente de lui ravir l’investiture pour donner un coup de volant vers la gauche de l’échiquier politique. Son de cloche à la fois similaire et diamétralement opposé chez les républicains, où Donald Trump donne dans la démesure et l’excentricité pratiquement dangereuse.
M. Sirois se montre toutefois prudent, et tient à souligner que, contrairement à d’autres pays où le désir de « changement » a poussé les électeurs à déboulonner les structures en place pour se tourner vers un « sauveur », la situation au pays de l’Oncle Sam est plutôt positive. « Même si on compare le tout avec le Canada, où Justin Trudeau a représenté pratiquement l’antithèse de Stephen Harper, les choses vont bien aux États-Unis », soutient le journaliste. L’économie est en croissance, « le chômage a diminué de moitié »depuis l’arrivée en poste de Barack Obama, en 2008, et la menace terroriste serait gonflée par certains médias et les candidats de la droite qui veulent jouer sur la peur.
Pour M. Sirois, il ne faut pas non plus croire tout ce que racontent les internautes à propos des chances de M. Sanders de remporter l’investiture, qu’il estime être infinitésimales. La machine Hillary Clinton n’est donc pas encore à bout de souffle, et Madame America permet de mieux en comprendre les raisons.