Difficile de ne pas pouvoir imaginer, en quelques instants, le cliché de la Lolita, du roman de l’auteur Vladimir Nabokov. Après tout, son image de l’adolescente pas encore femme, qui tombe entre les griffes d’un homme, continue de se répercuter à travers la culture populaire. Mais dans Lolita n’existe pas, bientôt présentée à la salle Fred-Barry du théâtre Denise-Pelletier, l’autrice Paméla Dumont veut justement présenter l’envers de ce décor déjà inquiétant.
« La pièce m’est venue d’une forme d’obsession, d’un trouble, d’un dérangement, je dirais… J’ai découvert le roman d’une manière que j’espère accidentelle, parce que j’étais jeune, quand même », mentionne Mme Dumont au bout du fil.
« Je l’ai lu d’abord par curiosité, vers la fin de mon adolescence, quand j’avais 16 ou 17 ans. Je l’ai lu parce que j’en avais probablement entendu parler, tout ça. Évidemment, avec le recul, j’ai 29 ans, et je comprends ma réaction, après coup. À cet âge-là, où on est près de l’âge de la jeune fille, c’est assez troublant de lire ça, surtout avec les outils et le bagage de vie que l’on a. Donc, ce que je me rappelle, c’est que j’étais dans une période de découverte de moi-même, dans un éveil à la sexualité, à toutes ces choses-là… Je me rappelle que j’avais vécu à la fois une forme de désir et du dégoût. Le tout de manière rapprochée, ou simultanément, et ça m’avait vraiment troublée, en fait. »
L’autrice précise par ailleurs qu’à l’époque, elle « avait de la misère à mettre des mots sur ce sentiment ».
« Je subissais un peu la réception de l’oeuvre, et ce qui était troublant, sans doute, c’est qu’en temps que fille de 16 ans, il y a une histoire qui est véhiculée dans le roman… Et quand on sort de l’adolescence, et on lit un livre qui est magnifiquement écrit, on reçoit cette histoire d’un contexte sexuel en compagnie d’un homme plus vieux. Ce qui est troublant, c’est qu’il n’y a pas vraiment d’autre option que de s’identifier un peu à cette jeune fille-là, et de réaliser que ça fait partie du monde. »
Cette idée de prouver que ce genre de relation, cette approche de la séduction et de la sexualité font partie du monde se retrouve d’ailleurs au coeur de Lolita n’existe pas, où Paméla Dumont joue cette jeune fille qui, souhaitant « prouver au monde entier qu’elle aussi peut être grandiose », part vers Atlantic City avec un homme beaucoup plus vieux qu’elle.
En entrevue, Mme Dumont explique qu’elle voulait surtout que la Lolita de Nabokov soit sur scène, puisque dans le roman, elle n’existe qu’à travers un journal intime. « Le titre, c’est cela que ça veut dire… Et je suis contente, parce que les affiches de la pièce portent quelque chose en elles-mêmes. Le titre de l’affiche suscite la réflexion, la discussion; je trouve ça intéressant. Et je voulais mettre (Lolita) en scène, pour que l’on ait accès à sa complexité, à tous ses paradoxes. »
Le théâtre, cette « forme d’art vivant », permet ainsi de montrer la jeune fille « dans toute sa palette de couleurs », sans avoir besoin « d’en faire un portrait très typé, ou archétypal. Au contraire, on veut vraiment déconstruire le cliché de la lolita ».
De là l’idée, précise Mme Dumont, d’aller « raconter une histoire en-dehors du roman, en-dehors de la vie de cette jeune fille-là, parce que je trouve que cela aurait été tout aussi déplacé de vouloir lui donner une voix alors qu’elle est décédée, qu’elle n’a pas pu parler, et qu’elle est morte très jeune après avoir été agressée ».
« Ce que j’ai envie de faire, c’est proposer une histoire qui est rebondissante, qui a des allures de montagnes russes, qui est une sorte d’éloge à l’adolescence, mais qui suscite aussi des réflexions sur des thématiques à propos desquelles nous essayons d’habitude de ne pas avoir de discussions. »
-Paméla Dumont
Est-ce que tout est permis, au nom de l’art?
En décidant d’aller de l’avant avec la création de sa pièce, Mme Dumont reconnaît avoir été assaillie par des questionnements internes : « Je sentais que la peur était du côté de « qu’est-ce qu’on va dire », « comment les gens vont le recevoir », et « qu’est-ce que ça va faire ». Moi, ça me fascine, parce que c’est pour cela que c’est tabou, et que les arts sont rebelles à toutes sortes de niveaux. »
« Quand on touche cependant à des zones qui sont réellement sensibles, finalement, on est assez frileux », lance la jeune femme en éclatant de rire.
« J’ai senti que ça faisait souvent peur, notamment quand j’en parlais pour avoir des subventions ou trouver des moyens de diffusion », poursuit-elle.
Dans le cadre de ses démarches artistiques, Paméla Dumont est aussi allé chercher les conseils d’Emmanuelle Jetté, coconseillère dramatique, qui termine une maîtrise sur le female gaze, le regard inclusif, « mais transposé au théâtre… Elle serait l’une des premières qui étudieraient cela, parce que l’idée vient du cinéma ».
« Nous, nous créons un objet, un objet qui a une autonomie, une histoire qui créera des réactions et des discussions. Et nous, évidemment, on va aller jouer dans ces zones de soi-disant ambiguïté, pour que les gens puissent en tirer leur propre interprétation. Mais nous nous sommes entendus, au sein de l’équipe, pour que notre interprétation soit claire. »
« Nous voulons que les gens puissent venir au théâtre et passer un bon moment, même si on se doute un peu de là où les choses s’en vont, et comment cela va se terminer », indique encore Mme Dumont.
Lolita n’existe pas, présentée à la salle Fred-Barry du théâtre Denise-Pelletier, du 4 au 22 octobre.
Texte : Paméla Dumont
Mise en scène : Valery Drapeau
Interprétation : Paméla Dumont, Sylvio Arriola et Alexandre Ricard
Une production du Théâtre de la Foulée