L’exploration spatiale à long terme nécessitera des infrastructures qui n’existent pas encore : des bâtiments, endroits où dormir, des pas de tirs, etc. Alors, où pouvons-nous trouver les matériaux de construction nécessaires, lorsque ceux-ci sont trop volumineux ou trop lourds pour les emporter à bord d’un vaisseau spatial? Des chercheurs de l’Université du Delaware estiment qu’il faudra concevoir du ciment ailleurs que sur Terre.
L’équipe de recherche, dirigée par Norman Wagner, président de la chaire de génie biomoléculaire et chimique de l’université, tente de mettre au point des méthodes pour utiliser des matériaux similaires à de l’argile, qui se retrouvent dans la couche supérieure du sol de la Lune ou de Mars, comme base pour créer ce ciment extraterrestre.
Pour atteindre leur objectif, les spécialistes auront besoin d’un agent liant pour « coller » les matériaux extraterrestres de base. L’un des critères à respecter, pour ce ciment extraterrestre, est qu’il doit être suffisamment solide et durable pour que les pas de tirs protègent les fusées humaines contre les pierres, la poussière et d’autres débris projetés lors des atterrissages et des décollages.
La plupart des matériaux de construction conventionnels, comme le ciment fabriqué ici, ne sont pas adaptés aux conditions spatiales.
M. Wagner et ses collègues ont réussi à convertir des échantillons simulés de sols lunaire et martien en un ciment géopolymère, qui est considéré comme un bon substitut pour le ciment conventionnel. L’équipe de recherche a aussi créé un cadre pour comparer divers types de ciments géopolymères etr leurs caractéristiques.
Les résultats de leurs travaux sont présentés dans Advances in Space Research.
Des ciments différents
Les ciments géopolymères sont des polymères inorganiques qui sont formés à partir de minéraux aluminosilicates que l’on retrouve dans des argiles largement répandues, que ce soit en Amérique du Nord ou en Afrique, entre autres. Lorsqu’ils sont mélangés à un solvent qui possède un pH suffisamment élevé, comme du silicate de sodium, l’argile peut être dissoute, permettant du même coup à l’aluminium et au silicone se trouvant à l’intérieur de réagir avec d’autres matériaux et de former de nouvelles structures, comme le ciment.
Les sols situés sur la Lune et sur Mars contiennent des argiles, eux aussi.
Toujours selon M. Wagner, l’opération effectuée par les chercheurs, notamment lors de leurs tests pour simuler des sols extraterrestres, est particulièrement complexe. Surtout s’il faut ensuite déterminer quelles combinaisons de matériaux et solvants pourraient fonctionner.
« Ce n’est pas quelque chose de trivial », dit-il. « Vous ne pouvez pas prendre n’importe quelle argile, et espérer que cela fonctionne. Il y a des conditions à respecter, il faut se préoccuper des relations chimiques. »
Les chercheurs ont mélangés divers sols simulés avec du silicate de sodium, avant de placé la mixture de géopolymères dans des moules ressemblant à ceux d’un bac à glaçons, avant d’attendre que la réaction ne se produise. Après sept jours d’attente, ils ont mesuré la taille et le poids de chaque cube, avant de l’écraser pour analyser comment le matériau se comporte sous pression.
Les scientifiques voulaient surtout savoir si de légères différences dans les réactions chimiques entre les sols simulés venaient affecter la résistance des matériaux.
« Lorsqu’une fusée décolle, il y a beaucoup de force exercée vers le bas, sur le pas de tir, et le ciment doit tenir le coup, alors la force de compression du matériau devient une caractéristique importante », a précisé M. Wagner. « Au moins, sur Terre, nous avons pu fabriquer des matériaux en petits cubes qui avaient cette force de compression nécessaire pour accomplir cette tâche. »
Les chercheurs ont aussi calculé combien de matériaux terrestres les astronautes auront besoin d’emporter avec eux pour construire une plateforme d’atterrissage à la surface de la Lune ou de Mars; il appert que les fusées auraient amplement d’espace pour transporter tout cela, que l’on parle de centaines, voire de milliers de kilos.
Simuler l’espace
L’équipe de recherche a aussi soumis ses échantillons à différentes conditions environnementales présentes dans l’espace, y compris le vide et des températures basses, puis élevées.
Sous le vide spatial, certains matériaux ont formé du ciment, alors que d’autres n’ont provoqué qu’une réaction chimique partielle. Dans l’ensemble, cependant, la force de compression du ciment géopolymère a diminué dans le vide, comparativement aux échantillons conservés sous atmosphère et à une température normale. Cela mène à de nouveaux aspects dont il faut tenir compte, en fonction de l’utilité des matériaux.
« Il y aura des limitations, en fonction de la nécessité de créer ces matériaux dans un environnement pressurisé, pour s’assurer que la réaction produise le matériau le plus solide, ou si nous pouvons nous en tirer sous vide, soit l’environnement normal de la Lune ou de Mars, et parvenir à quelque chose qui est satisfaisant », indique Jennifer Mills, qui a participé aux travaux.
D’un autre côté, à des températures avoisinant les 80 degrés Celsius sous zéro, les matériaux géopolymères n’ont pas du tout réagi.
« Cela nous indique que nous devrons utiliser quelque chose pour accélérer la réaction que nous observons à température pièce », précise Mme Mills. « Peut-être que les géopolymères doivent être chauffés, ou peut-être devons-nous ajouter quelque chose d’autre au mélange pour déclencher la réaction, dans une perspective d’utilisation dans divers environnements. »
Quand Amazon ne livre pas…
Ultimement, ces expériences permettent de déterminer ce qui pourrait servir aux futures expéditions destinées à explorer d’autres mondes que le nôtre. Et puisqu’il est impossible de se faire ravitailler rapidement, une fois quitté le pas de tir, mieux vaut connaître les réactions des matériaux extraterrestres entre eux si l’on envisage de construire des structures ailleurs dans le système solaire.
Les chercheurs affirment aussi que ces travaux pourraient permettre de développer des ciments plus efficaces et moins polluants et les employer ici. Entre autres, les ciments géopolymères nécessitent moins d’eau que le ciment traditionnel, d’autant plus que l’eau n’est pas consommée dans la réaction. L’eau peut être ensuite récupérée et réutilisée, un avantage dans les environnements pauvres en eau, qu’il s’agisse d’une zone aride ou de l’espace profond.