C’est sans doute la seule chose qui manquait au palmarès de Donald Trump : son nom et le mot « anthropocène » dans la même phrase.
Même s’il perd le 8 novembre, il aura peut-être été le premier démagogue « de l’ère de l’anthropocène », écrit le journaliste Robinson Meyer dans The Atlantic. Son analyse se veut délibérément pessimiste, ce qui n’a rien d’étonnant, poursuit-il, « quand, comme moi, on couvre les dossiers climatiques depuis 20 ans ».
Ces derniers mois en particulier, je me suis mis à penser : wow, tout ça se produit beaucoup plus tôt que je ne l’aurais cru.
Consacrez suffisamment de temps aux scénarios climatiques du pire et vous pouvez commencer à supposer, comme je l’ai fait, qu’un puissant démagogue va contester les présidentielles dans le prochain siècle. J’ai imaginé que les conséquences catastrophiques du réchauffement planétaire créeront inévitablement les conditions nécessaires à un tel chef et que son soutien proviendrait d’un mouvement motivé par l’ethnonationalisme, la stagnation économique et la haine des immigrants et des réfugiés. Autrement dit, j’ai imaginé quelque chose de pas si éloigné du Trump de 2016.
Je présumais juste que cela ne surgirait pas avant 2040.
Et le journaliste qui est en lui ne sort pas tout ça de son imagination fiévreuse. Beaucoup de politologues et autres sociologues spéculent depuis des années sur les conséquences qu’auront les changements climatiques sur la politique internationale. Des sécheresses entraînant des pénuries alimentaires vont, par exemple, exacerber les conflits — certains prétendent même que ce fut le catalyseur de la guerre civile en Syrie. Même si ce lien fait débat, on ne peut nier que les pénuries ont, de tout temps, été exploitées par des démagogues: la question est donc de savoir si cet effet déstabilisateur, d’abord concentré dans les pays en voie de développement, ébranlera aussi les pays riches. Pour Robinson Meyer, pas besoin de chercher loin : si la population ne réagit pas, Donald Trump sera un jour vu comme ayant été le premier signe avant-coureur.
Il ne représente pas seulement une réaction de Blancs racistes, et n’a pas seulement ouvert la porte à une extension américaine de l’extrême droite européenne… Trump est le premier démagogue de l’anthropocène.
Anthropocène, du nom de cette ère géologique dans laquelle nous sommes maintenant entrés, ainsi nommée parce que l’humain a laissé une empreinte sur la planète qui sera encore visible dans des millions d’années.
Sur quoi s’appuierait une « déstabilisation » dans un pays riche ?
La revue Nature publiait l’an dernier une recherche estimant que, si le réchauffement climatique se poursuit au rythme actuel jusqu’à la fin du siècle, cela provoquera une baisse de 23 % du revenu moyen d’un individu, un impact plus durement ressenti en Afrique, en Inde, au Brésil, mais aussi en partie aux États-Unis.
De son côté, l’Agence américaine de protection de l’environnement a prédit que le réchauffement pourrait coûter à l’économie américaine 200 milliards de dollars d’ici la fin du siècle: dommages causés par les tempêtes, factures d’électricité et d’épicerie accrues, dépréciation du parc immobilier…
Même les compagnies d’assurance tirent la sonnette d’alarme depuis quelques années.
Si l’on ajoute à tout cela un afflux de réfugiés causé par des sécheresses dévastatrices au Moyen-Orient ou en Afrique — sécheresses et pénuries alimentaires pouvant elles-mêmes entraîner une nouvelle guerre civile dans le bassin méditerranéen — toutes les conditions « gagnantes » pour un « leader autoritaire » sont réunies — un autoritarien, en langage de politologue (voir Et si Trump n’était pas une anomalie ?).
Mais peut-on prévenir, plutôt que guérir ? Sur le front climatique, s’engager sérieusement dans une réduction des gaz à effet de serre diminuerait les risques de futures crises. Mais sur le plan politique, quels seraient les mécanismes de défense face à un démagogue, si les crises se produisaient malgré tout ? L’engagement social, propose Meyer, se référant à un sondage d’avril dernier qui constatait que les électeurs potentiels d’un Donald Trump étaient aussi les plus déconnectés de leurs communautés : ils ne font pas de bénévolat à l’école ou chez les scouts, ne participent pas à des groupes communautaires et ne s’intéressent pas à la politique. Du coup, les citoyens les plus motivés pour défendre l’environnement qui décideraient de s’engager dans leur communauté et dans la politique locale partiraient avec une longueur d’avance. Au final, la façon la plus sous-estimée de limiter les conséquences des crises politiques et de tuer dans l’œuf les démagogues qui voudront en profiter serait un véritable engagement politique.