Surtout connu pour son apport au genre horrifique de la dernière décennie, Jason Blum semble pourtant toujours plus intéressant lorsqu’il s’éloigne des balises habituelles de l’horreur pour se concentrer davantage sur des sujets humains. Ce magnifique et souvent aussi réussi que surprenant Vengeance en est à nouveau la preuve, en plus d’être une marque d’une énorme férocité pour finalement imposer B.J. Novak comme un artiste de grand talent à un plus vaste public.
Bien que son apport au milieu artistique soit considérable depuis plusieurs décennies, disons que le nom de B.J. Novak est loin de sonner une cloche à un grand nombre de gens. Pourtant, il est bien plus qu’une série de memes de The Office, puisqu’il a, comme tous les membres de la distribution ou presque, également participé à l’écriture de plusieurs épisodes, en plus d’en réaliser quelques-uns, expérience qu’il a répété avec The Mindy Project l’un des projets de sa partenaire de jeu et amie Mindy Kaling. Il s’est aussi fait un nom du côté littéraire, notamment avec The Book with no Pictures, qui s’est assuré un succès impressionnant du côté des livres pour enfants.
Avec Vengeance, un triplé risqué puisqu’il écrit, réalise et tient la vedette de son film, il s’offre non seulement une plateforme de jeu enviable à tous les niveaux, mais qui s’avère un pari des plus réussi ici.
Ce qui surprend d’emblée dans cette œuvre indubitablement très moderne et actuelle, c’est son aisance à naviguer à travers les genres, tout comme son impressionnante profondeur ,alors que ce qui avait des airs de comédie simpliste aux limites absurdes, ou d’un suspense plus ou moins habituel, finit plutôt par flirter du côté de l’existentialisme.
Journaliste en quête de sens et d’une carrière digne de ce nom, Ben se retrouve dans toute une histoire lorsqu’il reçoit un appel de la famille d’une fréquentation sans importance et qu’il connaissait à peine pour se faire annoncer son décès, qu’on soupçonne être un meurtre. Rapidement, il se voit investi de la mission consistant à non seulement élucider les raisons de sa mort, mais aussi de concevoir un podcast qui remettra en question toute l’Amérique actuelle et son rapport aux uns et autres, autant morts que vivants.
Cela semble gros et effectivement, on a par moment l’impression qu’on en mène un peu large, au point de se demander si on arrivera à bien tout relier dans une finale à la hauteur de l’histoire. La réponse est oui. Certes, on en rassurera beaucoup en ne laissant que bien peu à l’interprétation (face à une finale un peu expéditive qui semble aussi simpliste que théorisée, de façon à hanter les esprits), mais on s’assurera surtout de bien déclarer que l’important est tout ce qu’il y autour de l’intrigue principale.
Ainsi, on est loin de notre enquête régionale typique, bien qu’on s’amuse avec les codes du genre, et pas tout à fait dans l’enquête policière, bien que le côté obsessionnel et procédural soit d’une grande efficacité. Novak connaît ses classiques et même dans le pastiche, il s’assure de bien leur rendre hommage.
Il faut dire aussi qu’il y a un soin généralisé qui se fait ressentir en entièreté. Loin d’être désagréable visuellement, le film est aussi monté de manière très énergique et Finneas O’Connell, le frère de Billie Eilish, est en train de se faire une belle carrière en musique de films, comme il l’avait démontré dans le magnifique et trop peu vu The Fallout, cette fois en faisant écho au travail de Trent Reznor et Atticus Ross, en ajoutant aux similitudes évidentes avec le Gone Girl de Fincher.
Cette distribution, en plus de Novak dans le rôle-titre qu’il s’est certainement écrit pour lui-même en connaissant ses forces et ses limites, est pratiquement sans fausse note. Si Boyd Holbrook a cette imprévisibilité qu’on lui a régulièrement associée, Ashton Kutcher fait montre d’un calme qui évite d’en faire des tonnes, en plus de limiter sa présence et ses apparitions, alors que la toujours irrésistible Issa Rae, bien que dans un rôle un peu isolé, fait du bien à voir pour couver l’ensemble. C’est toutefois J. Smith-Cameron (que tous reconnaîtront de la très populaire télésérie Succession et qui a enfin droit à un grand rôle à la hauteur de son talent) et plusieurs autres membres de la famille de la défunte (présence fantomatique de la lumineuse Lio Tipton, autrefois Analeigh qui avait fait tourner les regards dans Crazy Stupid Love notamment), qui impressionneront le plus et apporteront les plus belles nuances au film.
C’est après tout lorsqu’il se remet en question et se donne la force de la profondeur (et de la douleur) que le film s’avère le plus satisfaisant. Jouant sur les perceptions et les conséquences de tous les actes et gestes, des plus petits au plus grand, l’oeuvre démontre avec brio les ravages de la solitude et du désir d’être aimé. L’aspect plus meta ou carrément braqué sur le côté apocalyptique de notre société voué à sa propre perte est par moment plus poussif et moins fluide, mais se montre souvent d’une cruauté rafraîchissante.
Vengeance est donc d’abord et avant tout un scénario très solide qui nourrit et divertit le spectateur avec une assurance et une intelligente qui n’est pas donnée à tous. C’est aussi sans conteste la marque évidente d’un créateur qui n’a certainement pas dit son dernier mot.
7/10
Vengeance prend l’affiche en salle ce vendredi 29 juillet.