Qu’on en commun la couverture médiatique de la crise climatique et celle de la pandémie de COVID-19? Selon une étude réalisée par des chercheurs de la Northwestern University, et publiée dans le Journal of Applied Research in Memory and Cognition, elles sont toutes deux un exemple de la méthode journalistique dite des « deux côtés », où les reporters tentent de démontrer les deux côtés d’une situation, même dans les cas où les sources les plus crédibles sont toutes dans un seul camp.
Selon les chercheurs à l’origine de l’étude, dans le cas de la crise climatique, cette méthode journalistique nuit à la capacité du public à distinguer les faits de la fiction, et pousse les citoyens à remettre en doute le consensus scientifique à propos d’enjeux sociaux urgents, dont les changements climatiques.
« La vague de chaleur dévastatrice en Europe, la semaine dernière, est un rappel que nous devons agir urgemment pour ralentir le réchauffement provoqué par les humains, mais les médias donnent encore du temps d’antenne à des gens qui croient qu’il ne faut pas s’en faire, qui diminuent l’ampleur du problème », mentionne David Rapp, psychologue et professeur, qui a coécrit l’étude.
L’argument voulant que les changements climatiques ne sont pas d’origine humaine a été prouvé comme étant faux encore et encore et encore par la science, mais malgré tout, plusieurs Américains (et Canadiens, et Européens, etc.) croient que la crise mondiale est soit fausse, soit pas de notre faute, ou les deux, en partie parce que les médias ont offert une plateforme aux climatosceptiques au nom de la neutralité journalistique, selon les chercheurs.
Dans le cadre de leurs travaux, ces derniers ont constaté que ce faux équilibre peut pousser les gens à douter du consensus scientifique sur des enjeux comme les changements climatiques, leur faisant se demander, parfois, si c’était un problème dont il fallait s’occuper sérieusement.
Les débats à propos de l’efficacité du port du masque pour se protéger contre la COVID-19 sont un autre exemple important, ajoute M. Rapp. Les médecins sont largement d’accord pour dire que cette mesure est efficace, mais mettre de l’avant les voix de quelques personnes qui s’y opposent peut créer de la confusion inutile.
Un « faux équilibre » nuisible
« Les changements climatiques sont un excellent cas d’étude pour le problème du faux équilibre, puisque le consensus scientifique est presque unanime. Si 99 médecins disent que vous avez besoin d’une opération pour sauver votre vie, mais un autre est en désaccord, il y a des chances que vous écoutiez les 99 », indique M. Rapp.
« Mais nous voyons souvent un spécialiste du climat placé en face d’un climatosceptique, ou quelqu’un qui diminue l’importance du problème, comme si c’était une division 50-50. »
Pour mener l’étude, les chercheurs ont mené trois expériences pour tester comment les gens répondraient lorsque deux points de vue à propos des changements climatiques étaient présentés comme autant de perspectives valides, même si l’un d’entre eux s’appuyait sur un consensus scientifique, et l’autre non.
« Lorsque les deux aspects d’un argument sont présentés, les gens ont tendance à moins estimer la valeur du consensus scientifique, et semblent être moins portés à croire que la crise climatique est quelque chose dont il faut s’inquiéter », indique M. Rapp.
Présenter ce qui semble être deux camps égaux, poursuit-il, peut entraîner l’un de trois résultats problématiques : douter qu’il existe un consensus, créer de la confusion à propos de ce qui est vrai, et suivre une tendance voulant que l’on préfère l’option la plus rassurante, soit « quelqu’un affirme que la crise n’est pas si grave, et donc je ne m’inquièterai pas ».
L’étude vient confirmer des craintes mises de l’avant depuis des années par des journalistes et des responsables de salles de nouvelles. M. Rapp dit par ailleurs avoir aussi étudié la mémoire, et ses travaux dans ce domaine expliquent pourquoi nous pourrions être vulnérables face à la désinformation dans les médias, même si celle-ci est présentée comme une opinion, plutôt que comme des faits.
« Les gens croient que toutes les choses dont ils peuvent facilement se rappeler sont sans doute vraies. S’il s’agit de fausses informations répétées par les médias, qui ont ainsi offert une plateforme, la personne visée va tout de même donner une valeur à ces informations si elles ressurgissent par la suite, parce qu’ils les auront déjà entendues. »
Pour briser ce cycle, M. Rapp et sa coautrice, Megan Imundo, il existerait une stratégie prometteuse que les responsables, dans les salles de nouvelles, pourraient utiliser pour aider le public, même lorsque les « deux côtés » sont présentés : mettre l’accent sur le consensus plus large des experts en matière de changements climatiques permet de réduire le poids accordé, par les participants à l’étude, aux climatosceptiques.
« Si vous pouvez rappeler aux gens qu’il existe un consensus, ils s’en servent et s’appuient sur celui-ci », affirme M. Rapp.