Quarante ans. Quarante ans que la revue Jeu réalise quelque chose qui semble pratiquement impensable, aujourd’hui, à l’ère des blogues, des collaborations bénévoles et des médias numériques à l’existence brève. Car non seulement Jeu parle de théâtre, mais la revue le fait en version papier. Et pour son quarantième anniversaire, elle fêtera dignement sa jeunesse retrouvée.
Au bout du fil, Michelle Chanonat, auteure et collaboratrice de longue date à Jeu, est formelle: la vieillesse sied bien à cette publication spécialisée. En fait, la revue profite de l’occasion pour conserver son petit côté jeune. « Nous avons hâte, lance-t-elle. Nous aurions pu profiter de l’occasion pour présenter une rétrospective, parler de ce que nous avons accompli au fil des ans, mais nous avons préféré nous tourner vers l’avenir, parler de la jeunesse. »
Pour son anniversaire, donc, Jeu donnera rendez-vous aux amateurs de théâtre à l’Usine C, lundi prochain le 24 octobre, pour le dévoilement de 40 capsules vidéo tournées par le cinéaste Jérémie Battaglia. Au menu, 40 créateurs, qu’ils soient auteurs, metteurs en scène, concepteurs ou encore comédiens, tous âgés de moins de 40 ans. L’avenir de la profession, en somme. « Lorsque ces gens sont nés, Jeu existait déjà », mentionne, blagueuse, Mme Chanonat.
Cette dernière précise que ce sera aussi l’occasion de lancer la nouvelle version du site web de la revue, la nouvelle étape d’un rajeunissement destiné à suivre le cours des transformations des milieux médiatiques et culturels. Car Jeu s’est déjà adaptée aux changements numériques du journalisme, particulièrement dans un domaine où les blogueurs et critiques culturels fleurissent. « Au départ, des critiques pouvaient paraître plusieurs mois après la fin de la présentation des pièces. Maintenant, toutes nos critiques sont rapidement publiées sur le web, et la revue ne contient plus que des articles de fond. Nous sommes aussi passés à un grand format en couleur, ce qui nous a permis de doubler notre nombre d’abonnés. »
D’ailleurs, après 40 ans, reste-t-il quelque chose à dire sur le théâtre? « Mais certainement!, dit Michelle Chanonat. La façon de jouer change, tout comme la mise en scène, l’écriture, la conception… Les nouvelles technologies sont beaucoup plus intégrées dans les nouvelles créations. Par exemple, l’utilisation de micros-cravates n’oblige plus les comédiens à projeter leur voix jusque dans le fond de la salle. On emploie aussi beaucoup plus de projections vidéo, entre autres. »
Pourtant, si Jeu semble avoir de belles années devant elle, le milieu du théâtre, lui, n’est pas nécessairement sorti du bois. Le fait d’aller au théâtre est encore considéré comme une activité « montréalaise » par plusieurs, « alors qu’on a pourtant une circulation des oeuvres d’ici et d’ailleurs. Des pièces de Québec, et même de l’Ontario sont montées à Montréal, par exemple », indique Mme Chanonat. Même si, reconnaît-elle, la distribution des pièces et leur rayonnement hors de la métropole se heurtent à un problème politique double: une décision de la part des distributeurs, peut-être, mais aussi l’absence d’aide financière de la part du gouvernement. « On va préférer retenir les services d’un humoriste, peut-être, parce qu’on va être certains que la salle sera remplie. »
Autre obstacle, celui de l’âge. « Les jeunes vont au théâtre. Quand je vais au Prospero, c’est rempli de jeunes. Idem à l’Espace Libre. Le problème, c’est quand les gens sont plus âgés, font des enfants. Soudainement, on les perd. Ils ont peut-être peur de s’ennuyer, ou de ne pas comprendre. Il y a un travail à faire pour aller convaincre les gens d’aller au théâtre. »
Voilà, sans doute, l’un des objectifs de cette soirée anniversaire de la revue Jeu. Célébrer 40 ans à parler de théâtre, bien entendu, mais également démontrer qu’il s’agit d’un art vivant, bien de son temps, et que les sujets abordés sont directement liés aux transformations de la société actuelle. Que le théâtre – tout comme Jeu – est bien de son temps, et qu’il a un bel avenir devant soi.