Soirées d’amours incomprises et ultimement vouées à une fin glauque et sanglante, la semaine dernière à la Maison symphonique, alors que l’on donnait une série de morceaux choisis de Roméo et Juliette, de Prokofiev.
Comme le hasard (ou plus probablement les programmateurs culturels) fait bien les choses, on donnait aussi Roméo et Juliette à deux pas de là, dans la salle Wilfrid-Pelletier, mais cette fois en format ballet. Un doublé Prokofiev, donc, avec pour trame cette histoire d’amour impossible entre les membres de deux familles ennemies.
Et si la version symphonique de cette fable romantique était quelque peu raccourcie, comme cela semble être l’habitude avec l’oeuvre du compositeur russe, on avait saupoudré à tout cela un peu d’Antonin Dvorak, mais aussi du Zoltan Kodaly. À quoi bon se priver, après tout, quand on a accès à certains des plus grands noms de la musique classique en provenance des pays slaves…
Si la mise en bouche de M. Kodaly adhérait résolument aux thèmes et normes musicales du romantisme avec ses Danses de Galanta, en donnant tout l’espace nécessaire au hautbois, à la flûte traversière et aux violons, cette ouverture évoquait également d’abord le mouvement, puis la turbulence, et enfin la grâce. Certaines histoires d’amour finissent bien, après tout.
Ce fut ensuite au tour de Dvorak et de son Concerto et orchestre en la mineur, avec la participation fort appréciée du violoniste James Ehnes. Ce dernier semblait d’ailleurs être parfaitement heureux de se concentrer sur sa partition plutôt que de tomber dans l’esbroufe. Un peu d’excitation n’a jamais fait de mal, remarquez, mais, dans un cas comme dans l’autre, si la musique est au rendez-vous, qui sommes-nous pour nous plaindre?
Ce concerto de Dvorak, véritable déclaration d’amour du compositeur à sa Hongrie natale, témoigne des diverses influences culturelles et sociales qui ont sculpté la région au fil des siècles, avec l’inclusion d’une danse populaire tchèque, par exemple, et d’une autre oeuvre chorégraphique, slave celle-là.
On sentait une douleur, une peine chez Dvorak; il faut dire qu’à l’époque où cette pièce fut composée, la patrie du créateur était sous le joug de l’Empire austro-hongrois, et le demeurera bien après la mort de celui-ci.
Les grands classiques
Le public était toutefois venu pour entendre Roméo et Juliette, et interprétation de Roméo et Juliette il y a eu. L’ultra-connue Montague et Capulets, bien sûr, mais surtout un échantillonnage savamment orchestré par le chef Juraj Valcuha pour couvrir, on l’imagine, l’ensemble du spectre émotionnel de l’oeuvre. De la violence à l’amour, en passant par la trahison, la passion ou encore les espoirs les plus fous, tout y était, pour le plus grand plaisir des spectateurs.
Devant ses musiciens, M. Valcuha semblait tout à fait dans son élément, dirigeant aisément ses troupes. Alors même que Tybalt voyait la vie le fuir peu à peu, plus tard dans le programme, on avait l’impression que l’orchestre jouait lui-même le rôle de la Grande Faucheuse, sous la gouverne d’un chef impitoyable.
Cette version de Roméo et Juliette en fut une superbement interprétée, les musiciens passant aisément de l’amour à la peine, de la joie à la colère, de la passion à la mort. Une soirée funeste, certes, mais une soirée particulièrement agréable.