Deux jeunes sur trois s’intéressent et font confiance à la science. À l’heure de l’infodémie, ou épidémie de fausses nouvelles, c’est plutôt rassurant mais il est temps que la communauté scientifique se mobilise davantage là où sont les jeunes (TikTok, YouTube, Instagram, etc.) et entame des conversations autour de « comment se fait la science ».
« Il est temps de mieux les rejoindre parce que, comme nous, ils sont entourés de désinformation », relève Roseann O’Reilly, présidente-directrice générale de la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI).
Surtout que 40 % des jeunes Canadiens passeraient maintenant plus de 4 heures par jour sur les réseaux sociaux. « La pandémie a eu un impact sur leurs habitudes. Éloignés de leurs amis, ils sont allés s’informer sur Youtube (25% ) ou Instagram (21%) pas sur les médias », ajoute Sébastien Dallaire, vice-président d’Ipsos Canada.
La FCI et l’Acfas révélaient le 8 juin, dans le cadre d’un évènement virtuel, les résultats d’un sondage national mené par Ipsos sur les points de vue des jeunes Canadiennes et Canadiens de 18 à 24 ans au sujet de la science. Le sondage a été mené en ligne du 12 au 26 octobre 2021.
On peut y lire que 73 % des jeunes suivent au moins un influenceur sur les réseaux sociaux ayant déjà exprimé des opinions anti-scientifiques. Les jeunes hommes, les personnes plus religieuses et celles moins scolarisées, s’avèrent plus à risque.
41 % des jeunes ont même noté qu’un influenceur qu’ils suivent a remis en question la responsabilité humaine des changements climatiques. « Il y a des aspects inquiétants et il faut qu’on soutienne mieux la culture scientifique des jeunes pour qu’ils fassent des choix éclairés », soutient la directrice de l’Acfas, Sophie Montreuil.
L’équipe du sondage a divisé les 1500 jeunes interrogés en diverses attitudes et croyances. Il y a d’abord les « promoteurs de la science » : 17 % des répondants qui s’entendent sur l’importance de la science pour l’avenir et pour faire des choix politiques.
Deux jeunes sur trois de cette catégorie « pro-science » poursuivent une carrière dans ce domaine et sont entourés par des pairs qui partagent leurs vues. Surtout, « ils sont capables de distinguer la vraie science de la pseudoscience et de repérer la désinformation », ajoute M Dallaire.
Sans nécessairement s’en faire les promoteurs, ceux qui ont confiance en la science représentent 22% des sondés. Ils disposent d’un entourage (famille et amis) moins consensuel.
Il y a enfin ceux dont les opinions sont en phase avec la science, mais qui avouent ne pas toujours être en mesure de distinguer le vrai du faux (20 %).
De l’autre côté, ceux qui questionnent la science et se disent des « penseurs indépendants » forment 16 % des interrogés. Ils utilisent leur intuition et se font confiance pour être capables de distinguer le vrai du faux. « Ils désirent avoir les « deux côtés de la médaille ». Seulement 6 jeunes sur 10 de ce groupe estiment que les vaccins sont sécuritaires », ajoute M Dallaire.
Il y a encore ceux qui ignorent la science : 25 %, donc un jeune sur quatre. Ils sont généralement moins confiants envers la science, plus susceptibles d’être mal informés et mal entourés. Ils partagent généralement l’opinion de leurs proches et des influenceurs qu’ils suivent sur les réseaux sociaux.
« Cela montre juste le haut de l’iceberg du problème », pense Eric Meslin, chercheur en bioéthique et président-directeur général du Conseil des académies canadiennes, invité à commenter ce sondage. « Cette étude fait ressortir des points évidents que nous connaissons déjà, car nous avons des enfants qui sont nés avec un écran dans leur main et ont du mal à se repérer dans le bazar des réseaux sociaux. Il y a des leçons à tirer et il faut surtout se demander comment transformer cela en conversation avec les jeunes », questionne le chercheur.
Mieux communiquer la science
Devrions-nous revoir nos approches pour communiquer la science et gagner la confiance des jeunes? Chantal Barriault, directrice du programme de cycle supérieur en communication scientifique de l’Université Laurentienne, le pense. « Il faut mettre l’accent sur comment la science se fait et son processus. Nous nous sommes trompés en pensant qu’on pouvait faire l’économie de ce type de discussion. C’est insuffisant pour gagner la confiance des gens. »
La pandémie représente une opportunité à saisir et il faut faire la place à des discussions avec le grand public lors de « conversations empathiques sous forme de dialogue où l’on fait davantage que juste communiquer des données scientifiques aux gens ». Il faut parler de ce que la science sait dans un moment X « tout en rappelant que c’est un processus en mouvement. Et aussi rappeler l’impact qu’ont les mauvaises informations. »
Reste que c’est parfois ardu de présenter les connaissances scientifiques à un large public. Il vaut mieux penser à segmenter le discours. « Cela prend différentes initiatives, mieux adaptées aux communautés, car nous savons que certaines populations ont du mal à comprendre le discours scientifique. Cela nous aura pris une pandémie pour apprendre à mieux répondre aux besoins de notre audience », relève Sandy Baumgartner, la directrice générale du Centre de science de Saskatchewan et vice-présidente de l’Association canadienne des centres de sciences.
Sans compter que les manières de s’informer ont changé. « Il faut aller là où sont les jeunes. Nous devons travailler dans ces espaces et trouver un moyen pour construire la confiance envers la science. Une des pistes est de montrer notre vulnérabilité et notre sensibilité. Comme on a pu le constater depuis deux ans, ce n’est pas toujours facile d’appréhender le mode virtuel, à commencer par Zoom. »
Il est temps de revoir où communiquer la science, insiste Anna Blakney, professeure adjointe à l’école d’ingénierie biomédicale de UBC… et influenceuse sur TikTok. « C’est la plateforme parfaite pour montrer ce qui se fait dans le laboratoire et rejoindre une audience diversifiée. C’est une conversation directe avec les gens, où la confiance s’établit pendant l’heure que l’on passe ensemble », a-t-elle présenté lors d’un des panels de ce colloque du 8 juin, qui la réunissait avec Sandy Baumgartner.
La nouvelle TikTokeuse avoue avoir beaucoup appris de ces deux années sur cette plateforme. Pour elle, il s’agissait d’un apprentissage accéléré pour maîtriser ce type de vidéos. « Je mets des liens vers les données probantes, ce ne sont pas juste mes mots: ils peuvent aller lire la publication et sont ainsi capables de traquer l’information, cela leur permet de poser les questions précises et moi, de les informer au mieux des connaissances scientifiques », ajoute encore Anna Blakney.
Pour Timothy Caulfield aussi, professeur de l’Institut en droit de la santé de l’Université de l’Alberta et auteur de nombreux ouvrages sur la désinformation — dont le récent On se calme! — il importe de renouer le dialogue. « Ces réseaux sociaux rapprochent les gens isolés à l’échelle de la planète et représentent une force puissante, plus ou moins constructive. Il faut être créatif pour sortir les gens et les jeunes de leur chambre d’écho où règne de la désinformation. Mais créer du contenu partageable sur ces plateformes, ça fonctionne. »
Il importe selon lui que les organismes régulateurs, comme Santé Canada ou les directions de la santé publique, communiquent sur ces plateformes (certains s’y essayent déjà, comme notre texte en parlait ici). « Il faut aussi utiliser les différentes motivations des jeunes (curiosité, émerveillement, expérimentation) pour multiplier les approches, tout en outillant les éducateurs et les médiateurs de science. »