Regroupant près de deux cent cinquante planches originalement publiées dans Safarir et le journal Le Soleil, l’anthologie Baptiste le clochard, récemment parue chez Station T, permet de renouer avec l’un des personnages les plus emblématiques de la bande dessinée québécoise.
Il n’est pas très fréquent qu’un clochard soit le héros d’une bande dessinée, et en partant, c’est l’une des particularités du personnage créé par André-Philippe Côté en 1988. Tandis que Diogène vivait dans un tonneau, Baptiste lui habite une poubelle de tôle, et cet homme, qui n’est ni à gauche ni à droite mais en-dessous, rêve d’un monde où il n’y aurait pas de jobs. Un peu à la manière de Mafalda, le sans-abri observe la société qui l’entoure (et qui l’a mis à l’écart) avec un humour intelligent portant à la réflexion. La guerre, le chômage, la condition de la femme, le gaspillage alimentaire, la bureaucratie, le racisme, les impôts, les politiciens, la mort, et même Dieu, aucun sujet n’est épargné par ce philosophe en herbe.

Loin des stéréotypes, Baptiste n’est pas un robineux. C’est plutôt son chien, Bali, qui cumule les vices, en fumant, en buvant, et en étant le père d’au moins 76 chiots. À l’image d’un autre iconique clochard de la culture québécoise, Sol (Marc Favreau signe d’ailleurs la préface du livre), il est aussi poète à ses heures. Pluie ayant pris de l’acide, escargot cherchant un restaurant où l’on sert de l’homme grillé dans du beurre à l’ail bouillant, poissons fuyant le fleuve pollué pour demander l’asile politique à l’aquarium, une touche de poésie traverse l’album. On y voit même Baptiste colmater un nuage avec une gomme balloune, ou déplacer son sapin de Noël de fortune juste au bon endroit pour qu’une étoile brillant au ciel se retrouve à son sommet.
André-Philippe Côté possède l’art d’aller droit au but, et de faire un gag en l’espace de seulement quatre ou cinq illustrations. Sur l’une de ses planches par exemple, Mr. Télé (un des personnages récurrents de la série qui livre les bulletins de nouvelles avec un téléviseur brisé sur la tête), déclare « J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle ». Baptiste répond « Commence donc par la mauvaise ». Son interlocuteur annonce « Il y a 26 647 nouveaux chômeurs! ». Après que le clochard lui ait demandé quelle est la bonne, ce dernier réplique « Ils travaillaient tous dans l’industrie de l’armement! ». Côté cultive également l’art de la formule choc, avec des phrases comme « Un pauvre, c’est quelqu’un qui n’a pas les moyens d’avoir de dettes ».

Imprimé dans un format à l’italienne, l’album Baptiste le clochard réunit une sélection de planches parues dans Safarir et le journal Le Soleil dans les années 1990. Les illustrations peuvent sembler simples de prime abord, avec des personnages aux gros nez dotés de billes en guise d’yeux, mais derrière ce minimalisme, on trouve un coup de crayon d’une grande fluidité, et une maîtrise impeccable du médium. Aucune ligne n’est superflue dans les images d’André-Philippe Côté. Comme pour symboliser le dénuement à peu près total dans lequel vivent les sans-abris, les dessins se concentrent principalement sur les protagonistes, et sont souvent posés sur la page sans aucun décor.
Publiés par des maisons d’édition dont certaines ont fermé leurs portes depuis, les six recueils existants de Baptiste le clochard ne sont vraiment pas faciles à trouver de nos jours, mais cette anthologie permet de conserver vivant ce personnage dont les observations sur la société sont toujours aussi pertinentes.
Baptiste le clochard, de André-Philippe Côté Publié aux éditions Station T, 248 pages.