Bien qu’il ait laissé derrière lui un riche héritage, Malcom McLaren est somme toute assez peu connu du grand public, mais la bande dessinée biographique qui lui est consacrée permet de découvrir cet être iconoclaste, qui a créé les Sex Pistols et donné naissance au mouvement punk.
Décédé en avril 2010, Malcom McLaren, un personnage inclassable et avant-gardiste, n’obtient pas toujours la reconnaissance qui lui est due. Influencé par la pensée de Guy Debord, le mouvement dadaïste et les manifestations étudiantes de mai 1968 en France, cet homme aux multiples talents qui dessinait, composait, créait des vêtements, écrivait et réalisait, a fait sortir le rap émergent du Bronx en l’emmenant dans les boîtes gay branchées, a contribué à faire connaître la musique du monde, a cosigné une bande dessinée avec le cultissime Alan Moore, a chanté en duo avec Catherine Deneuve, a tenté de faire un long-métrage avec Steven Spielberg dans lequel Oscar Wilde inventait le Rock’n’roll, a brigué la mairie de Londres en promettant de légaliser le cannabis, et a tourné sa propre version de Madame Butterfly dans un hammam.
Scénarisée par Manu Leduc et Marie Eynard, la bande dessinée biographique Malcom McLaren : l’art du désastre lève le voile sur ce personnage sulfureux, dont la devise (qu’il fît d’ailleurs inscrire sur sa pierre tombale) était « Mieux vaut un échec retentissant qu’une réussite médiocre ». Bien que l’ouvrage retrace la jeunesse de McLaren, de son éducation par une grand-mère anti-monarchie et un peu anarchiste sur les bords qui encourageait tous ses mauvais travers en passant par son inscription et son expulsion de plusieurs écoles d’art anglaises, ou sa rencontre avec la designer Vivienne Westwood avec qui il aura un fils, l’album se concentre surtout sur une période marquante de sa vie et son plus grand fait d’armes : la création du groupe The Sex Pistols, et la naissance du mouvement punk.
La bande dessinée nous donne un accès privilégié sur la vie, et la mort, des Sex Pistols. On y apprend comment Malcom McLaren, gérant d’une formation musicale nommée The Strand, engagera John Lydon comme chanteur, et fera tout pour alimenter la rage de ce dernier, qu’il considérait à son meilleur lorsqu’il était en colère. On assiste à l’arrivée de Simon Richie, un jeune bassiste peu doué pour la musique qui deviendra connu sous le nom de Sid Vicious. L’ouvrage permet d’apprécier le génie de la provocation et du marketing de McLaren. Cultivant le chaos au sein du groupe comme des nombreuses maisons de disques, le gérant saisira toutes les occasions de foutre le bordel, cimentant la mauvaise réputation des Pistols. Mécontent que les policiers se contentent d’escorter le bateau sur lequel les musiciens jouaient pour le jubilé de la Reine, il leur lancera même des bouteilles de bière à la tête pour que ceux-ci les arrêtent.
Des illustrations trop lisses n’auraient pas eu leur place dans un album consacré en grande partie aux Sex Pistols et au mouvement punk. Le choix de Lionel Chouin pour mettre en images cette biographie était donc idéal. Revêtant le même côté iconoclaste que le sujet du livre, les dessins de Chouin sont nerveux et anguleux. Ses personnages dégingandés sont proches de la caricature et pas toujours anatomiquement corrects, avec des bras, des jambes ou des crânes démesurés, mais on reconnaît bien les Richard Branson, Russ Meyer, Siouxsie Sioux et autres figures historiques qu’il esquisse. Ses reproductions des concerts des Pistols, des New York Dolls, ou de Patti Smith, des musiciens ayant « tué le Flower power pour faire renaître le Rock’n’roll », débordent tellement d’énergie qu’on croirait les entendre. Ses compositions graphiques sont inventives, et sans jamais utiliser de cases, il crée des agencements d’illustrations s’imbriquant les unes sur les autres dans chacune de ses planches.
Même s’ils n’ont produit qu’un seul et unique album lors de leur courte (mais intense) carrière, les Sex Pistols sont parvenus à se tailler une place de choix dans le panthéon de la musique, et cette bande dessinée biographique sur Malcom McLaren permet de constater le rôle crucial qu’a joué le génial gérant dans la création, et la réputation, de ce mythique groupe.
Malcom McLaren : l’art du désastre, de Manu Leduc, Marie Eynard et Lionel Chouin. Publié aux éditions Futuropolis, 208 pages.