Pendant que les Haïtiens n’en finissent pas de compter leurs morts, les Américains poussent un soupir de soulagement: les dégâts de l’ouragan Matthew seront « seulement » de quelques milliards de dollars. Mais ce n’est que partie remise pour les assureurs… et pour l’industrie pétrolière, le jour où elle sera frappée de plein fouet.
Trois millions de personnes déplacées de la Floride à la Caroline du Sud, des bâtiments emportés, des routes endommagées. Lundi, la firme d’analyse financière CoreLogic évaluait les pertes à 4 à 6 milliards de dollars. La facture pourrait grossir dans les prochains jours, mais il s’en est fallu de peu pour qu’elle soit bien plus élevée : si l’ouragan était passé quelques dizaines de kilomètres plus à l’ouest — s’il était entré en Floride plutôt que de la frôler — les dégâts auraient dépassé les 25 milliards de dollars selon l’estimation faite quelques jours plus tôt par la firme Kinetic Analysis et de l’agence de presse Bloomberg.
Mais ce n’est que partie remise.
— Dès 2012, la firme internationale d’assureurs Munich Re évaluait que la facture liée à des événements météorologiques extrêmes en Amérique du Nord avait quintuplé en 30 ans. Une partie de cette hausse était attribuable à la croissance démographique et à l’étalement urbain. Quelle partie était attribuable à la nature changeante ?
— La même année, la firme Swiss Re répondait en partie à cette question en concluant que les événements extrêmes de 2012 (l’ouragan Sandy, la sécheresse en Californie, les canicules) avaient causé à eux seuls « la troisième plus grosse perte » financière depuis 1970. Swiss Re spéculait de plus sur un scénario climatique qualifié de prudent : avec une hausse du niveau des océans de moins de 30 centimètres en 2050, « la fréquence des pertes est vouée à augmenter ».
— L’Association Geneva, un groupe de réflexion de l’industrie des assurances, ajoutait en 2013 que « dans certaines zones à haut risque, le réchauffement de l’océan et les changements climatiques menacent l’assurabilité des catastrophes » — en d’autres termes, une « nouvelle normale » est en train de s’imposer.
— AIG, une multinationale de l’assurance, reconnaît depuis plusieurs années le climat comme un problème qui pose des risques « significatifs » à « l’économie mondiale », incluant l’accès à des réserves d’eau suffisantes pour la consommation humaine et l’agriculture.
Mais il n’y a pas que les assureurs et les riverains qui craignent pour leur vie et leur portefeuille, il y a aussi l’industrie du pétrole. En fin de semaine, le New York Times donnait la parole au chercheur Roy Scranton : son scénario est celui d’un ouragan similaire à Matthew qui, progressant depuis le golfe du Mexique, frapperait la région de Houston, au Texas, le cœur nord-américain de la production de pétrole :
« Il frappe la raffinerie ExxonMobil… détruit les entrepôts de produits chimiques, les quais et les usines, tout au long du canal Houston, arrache les pipelines de leurs ancrages, soulève et brise les réservoirs de pétrole… Les vagues iridescentes gris-brun s’élèvent, transportant du carburant pour avion, du gaz naturel liquéfié et du pétrole brut jusque dans des centres d’achats, des parcs, des écoles et des bureaux. Avec plus de 200 réservoirs d’entreposage pétrochimique fissurés, plus de 100 millions de gallons de pétrole et de produits chimiques se dispersent. »
Scénario de film-catastrophe ? L’auteur précise que toute portion de 50 miles (80 km) de la côte du Texas est touchée par un ouragan en moyenne tous les six ans. Certains s’arrêtent sur la côte, d’autres pénètrent les terres. Houston est sur la liste des villes les plus vulnérables à un ouragan, dressée par le Service météorologique national : parce que le jour où l’un d’entre eux frappera, les habitants pourront évacuer les lieux, mais les installations, elles, seront livrées aux éléments.
« Les raffineries et les usines entourant la baie de Galveston sont responsables de près de 25 % de la transformation de pétrole des États-Unis… Houston est le deuxième port le plus achalandé en tonnage. »
Et ce scénario ne tient pas compte d’un débat en cours chez les climatologues : dans un futur proche, les ouragans seront-ils plus nombreux… ou bien tout aussi nombreux, mais plus puissants ?
Au Texas, deux équipes de chercheurs se concentrent sur l’évaluation des risques et des mesures qui pourraient limiter les dégâts. Leurs solutions sont inévitablement technologiques : renforcement ou agrandissement des murs et autres protections côtières qui, sur des dizaines de kilomètres, serviraient à contenir ou détourner les vagues et les grandes marées en cas de tempête majeure. Mais les budgets pour de tels travaux pharaoniques se font rares, spécialement depuis la crise financière de 2008.