Être une femme n’est certainement pas de tout repos. Qu’en est-il si l’on est, en plus, immigrante, noire et pauvre? Dans son roman coup de poing Ta gueule, t’es belle, Téa Mutonji trace le portrait d’une société non seulement violente et méprisante, mais aussi prompte à l’abus, autant psychologique, physique, que sexuelle.
Originaire d’Afrique, Loli s’installe avec sa famille dans des logements pour ménages à faible revenu d’un quartier pauvre de Toronto. Après le clash culturel viendra le télescopage avec la « loi de la rue »: pour obtenir ce que l’on souhaite, il faut des armes, de l’alcool, ou encore de l’influence. Mais puisque Loli est encore une jeune adolescente, et qu’elle n’a aucune de ces choses, elle utilisera ce qu’elle a sous la main: son corps.
Sursexualisée dès un jeune âge, l’adolescente apprendra rapidement que le corps féminin est à la fois quelque chose à protéger à tout prix et une marchandise à monnayer. À travers un parcours difficile, fait de faux départs, de dérapages et de relations familiales qui se délitent sous l’emprise de la drogue, de la violence, de la misère ou d’un mélange plus que toxique de ces trois ingrédients, Loli amassera suffisamment d’informations et de leçons pour exister. Du moins, pendant un temps.
On n’échappe jamais à son destin, après tout, et l’adolescente devenue jeune femme, puis femme tout court, devra constamment affronter ses démons, sans jamais savoir s’il sera possible de triompher des bêtes noires qui sommeillent en elles.
Avec une prose directe, voire carrément violente, Téa Mutonji (et dans une traduction française de Mélissa Verreault) ouvre les portes d’un monde largement ignoré par ceux qui appartiennent à la classe moyenne. Ou ceux qui font partie d’un groupe majoritaire. Pourtant, ce monde existe, ces gens existent, et leur douleur et leur misère sont bien réelles.
Ce que Téa Mutonji écrit, le lecteur le reçoit en plein visage. Dire que l’expérience est agréable serait bien honnêtement un mensonge, mais l’objectif de la littérature n’est pas nécessairement de faire plaisir. Et c’est tant mieux.
Ta gueule, t’es belle, de Téa Mutonji, publié aux éditions Tête dure, 203 pages