L’histoire américaine regorge de symboles, de moments, de tendances qui ont défini la société de nos voisins du Sud. Et les restaurants ne font pas exception. Dans cette perspective, Automat, un documentaire réalisé par Lisa Hurwitz, lève le voile sur une époque tristement révolue de la façon de manger, de socialiser… Bref, de vivre.
Si MM. Horn et Hardat n’ont pas inventé le concept du restaurant automatique, c’est-à-dire un restaurant sans service, où les plats sont reçus directement après avoir été commandés, souvent à un coût minime, les deux hommes ont réussi à révolutionner l’idée en l’adaptant à la réalité contemporaine: pour offrir une expérience sans tracas, voilà donc l’apparition du fameux système où il suffit d’insérer quelques pièces de monnaie, de soulever une petite porte et de prendre l’assiette qui se trouve dans un compartiment gardé au chaud ou au frais, et de déguster un bon plat cuisiné selon des normes de qualité élevées.
À l’époque, l’idée du restaurant automatique fait fureur. D’autant plus qu’en installant leurs succursales dans le centre de New York et à Philadelphie, les deux hommes savent où aller chercher leur clientèle. Ainsi, l’Automat verra ses revenus augmenter avec les années, même durant la crise des années 1930; après la Deuxième Guerre mondiale, où l’entreprise servira sa nourriture aux soldats américains, il y aura une nouvelle ère d’expansion, à mesure que l’activité économique reprendra de plus belle.
Les nombreux invités du film le diront: l’Automat, c’était non seulement de la bonne nourriture – et mieux encore, de la bonne nourriture et une qualité constante –, mais aussi un lieu de brassage sociétal inédit. À une époque où la discrimination était encore très importante, tous pouvaient venir manger à l’Automat. Riches, pauvres, Blancs, Noirs, Asiatiques, Latinos… Et tous payaient le même prix, le tout dans des salles à manger souvent somptueuses, avec des tables au plateau de marbre, des plafonds très élevés, le tout sans oublier le fameux bec verseur du café, en forme de tête de dauphin.
Décidément, il y avait quelque chose comme un luxe offert à tous, à l’Automat. Mais impossible, pour quelque entreprise que ce soit, de survivre pendant tant d’années sans vraiment changer de formule. Dans la foulée du boom économique de l’après-guerre, le développement des banlieues commença à gruger la clientèle des restaurants automatiques. Pourquoi voudrait-on, en effet, retourner en ville pour manger à ce qui a toujours été une expérience correcte, soit, mais jamais transcendante? Pire encore, cet exode vers les banlieues a aussi correspondu au départ de nombreuses femmes du marché du travail, qui pouvait alors (ou étaient forcées de) rester à la maison pour s’occuper de la famille. Et, incidemment, préparer le repas pour le retour du mari…
En plus de ce phénomène qui allait vider les villes et provoquer la folie automobile qui pourrit toujours l’existence nord-américaine, de nos jours, l’inflation finira par rattraper Horn et Hardat; l’entreprise devra se résoudre à augmenter ses prix, ce qui lui fera perdre une autre portion de sa clientèle. La diversification de l’offre alimentaire et le passage des ans finiront d’achever la compagnie.
Tout cela, Mme Hurwitz le présente de façon intéressante, concise, avec une brochette d’invités comprenant des comédiens, mais aussi l’ex-juge de la Cour suprême Ruth Bader Ginsburg et l’ancien secrétaire d’État Colin Powell, deux personnes fortement marquées par l’expérience de l’Automat. Il ne faut pas non plus passer sous silence toutes ces références dans les films et les épisodes de télévision, ou encore dans l’art visuel. L’Automat fut un pan de l’Amérique qui est disparu, mais qui n’est pas oublié. Et cela, The Automat le transmet sans faille aux cinéphiles et aux nostalgiques.
The Automat sera présenté le 25 avril, au cinéma du Parc, dans le cadre d’une représentation spéciale avec séance de questions et réponses en compagnie de la réalisatrice.