Affirmer que la relation entre Jodie et son père est nébuleuse tiendrait, au mieux, de l’euphémisme; et sur les planches du Théâtre Prospero, la comédienne Sophie Desmarais transforme cette filiation en quelque chose de plus grand, quelque chose de mieux, mais surtout quelque chose de plus terrible.
Seule sur scène, dans le cadre de cette oeuvre intitulée The One Dollar Story, Jodie, une jeune femme paradoxalement âgée de 40 ans, a bourlingué toute sa vie. Employée à mi-temps ici, comédienne là, le personnage semble chercher un sens à son existence. Et le fait que son père adoptif soit atteint d’un cancer incurable et se meurt lentement dans une cabane installée dans un bois de la côte ouest américaine n’y est probablement pas étranger, non plus.
Entre cette figure paternelle qui n’en a plus pour longtemps, et la mystérieuse personne qu’est son père biologique, Jodie est déchirée. Seule – sa mère est là, mais les liens sont brisés, ou presque –, désemparée, la femme erre en quête de réponses. Décidée à trouver des réponses, la voilà qui parcourt l’Amérique façon Jack Kerouac, mais 60 ans plus tard. L’époque hippie est terminée, tout comme cette frivolité, ce bonheur de vivre et de prendre des risques qui caractérisaient les sixties. Aujourd’hui, l’Amérique est vieille, flétrie, malade.
Sur scène, donc, Sophie Desmarais propose une performance de haut calibre; elle qui n’a certainement plus besoin de faire ses preuves, là voilà tout de même à sembler vouloir sortir d’elle-même, se réinventer. D’autant plus que certaines répliques de la pièce, notamment la dérision entourant le fait que Jodie est « comédienne » (le tout lancé sur un ton presque méchant), permettent de tracer des parallèles avec la vie de Mme Desmarais elle-même.
Cela étant dit, et sans égard au talent de l’actrice, justement, on a l’impression que The One Dollar Story a davantage été écrite comme exercice de style que comme véritable pièce de théâtre destinée à être jouée sur scène. Le choix du solo, par exemple, mais avec d’autres personnages également joués par Mme Desmarais, crée une atmosphère bien étrange où l’oeuvre est contrainte par son propre cadre, et cela lui nuit, tout au long des 90 minutes que durera la représentation.
Ajoutez à cela une impression d’avoir transposé de force un contexte quasi uniquement américain sur la scène du Prospero, avec moult références géographiques et culturelles parfois obscures, et vous obtenez une pièce de théâtre qui, encore une fois, la qualité du jeu mise à part, laisse les spectateurs sur leur faim.
The One Dollar Story, de Fabrice Melquiot; avec Sophie Desmarais, présenté au Théâtre Prospero jusqu’au 16 avril.
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