Depuis l’invasion de l’Ukraine le 24 février, l’industrie nord-américaine du gaz et du pétrole fait pression pour que des investissements gouvernementaux favorisent de nouveaux projets d’exploitation, afin, prétend-on, de rendre l’Europe moins dépendante des carburants fossiles russes. Le problème est que ces nouveaux investissements ne profiteraient qu’à l’industrie, pas à l’Europe.
Dans l’immédiat, il a été beaucoup question depuis deux semaines de livrer, par bateau, davantage de gaz naturel liquéfié à l’Europe, pour remplacer une partie du gaz naturel russe qui continue pour l’instant de lui arriver. Dans une ébauche de plan d’action déposée mardi à l’intention des 27 pays membres de l’Union européenne (REPowerEU), la Commission européenne évalue qu’il serait possible de remplacer ainsi, en 2022, plus du tiers des importations de gaz russe: 60 milliards de mètres cubes, sur les 155 qui proviennent chaque année de Russie.
Or, augmenter ainsi les livraisons de gaz liquéfié ne nécessiterait pas de lancer de nouveaux projets d’exploitation ailleurs dans le monde, mais plutôt d’en exporter vers l’Europe une plus grande quantité, que ce soit à partir des États-Unis, du Canada, des pays du Golfe Persique, de l’Algérie ou de la Norvège.
Mais dans ce même document déposé mardi, la Commission européenne voit plus loin: les projets de transition vers les énergies vertes, qui étaient déjà sur la table avant l’invasion, devraient être accélérés afin de remplacer dès cette année 20 milliards de mètres cubes de gaz naturel. Et afin de tripler la capacité de production d’ici 2030, ajoutant 480 GW avec l’éolien et 420 GW avec le solaire — de quoi économiser, selon le document, 170 milliards de mètres cubes de gaz par année. Et ce, tout en lançant des programmes d’économie d’énergie qui réduiraient encore plus la consommation de gaz.
Si ces objectifs étaient atteints, ils remettraient en question tout nouveau projet d’exploitation nord-américain: parce que les nouveaux projets des industries pétrolières ou gazières du Canada ou des États-Unis mettraient au moins trois ans à se concrétiser. Davantage s’ils se heurtaient à des oppositions locales — ou au refus du gouvernement fédéral de financer de nouveaux projets de carburants fossiles, une promesse de l’été dernier. Parmi les hypothétiques nouveaux projets, on parle par exemple de construire à Terre-Neuve ou en Nouvelle-Écosse un terminal de gaz naturel liquéfié pour accroître les exportations vers l’Europe. Ou un nouveau pipeline qui passerait par le Québec: mais on se rappellera qu’un précédent projet s’était heurté à l’opposition de la population et du gouvernement québécois.
Incertitude chez l’Oncle Sam
Du côté des États-Unis, alors que les républicains font écho à ces demandes de l’industrie d’augmenter la production, les démocrates semblent divisés sur la marche à suivre, selon le magazine de l’énergie E&E News: faudrait-il en profiter pour accélérer la transition des États-Unis vers les énergies vertes, ou bien favoriser les exportations américaines de carburants fossiles vers l’Europe? Sans prendre de décision là-dessus, le président Joe Biden a opté mardi pour une solution consensuelle: interdire les importations de pétrole russe (celles-ci ne représentaient en 2021 que 8% des importations des États-Unis).
Cela s’inscrit dans un contexte où ils sont nombreux, des deux côtés de l’Atlantique, à réclamer une interruption totale des exportations de gaz naturel et de pétrole russe. Mais la Russie est pour l’instant le premier fournisseur de gaz naturel de l’Union européenne (UE), avec 40 % des importations, représentant 19 % de la consommation totale de gaz de l’UE. Fermer le robinet se heurte donc à l’opposition de certains gouvernements européens, inquiets de voir les factures d’essence, d’électricité et de chauffage grimper.
Il semble toutefois qu’elles soient vouées à grimper, de part et d’autre de l’Atlantique, sanctions supplémentaires ou pas. À tout le moins, en Europe, la décision pourrait-elle être facilitée, ce printemps, par le fait que les journées froides s’achèvent, réduisant temporairement les besoins énergétiques et permettant à l’Europe de vivre sur ses réserves gazières… jusqu’à l’hiver prochain.
La question s’était même invitée dans le processus final de publication du rapport du GIEC, à la fin février. La déléguée ukrainienne, la climatologue Svitlana Krakovska, avait lié l’invasion de son pays au défi planétaire du réchauffement climatique: « Les changements climatiques induits par l’humain et la guerre en Ukraine ont les mêmes racines, les carburants fossiles, et notre dépendance à leur égard. »
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