Malgré un appui important, aux États-Unis, en faveur d’une refonte des méthodes policières, les mouvements pour « définancer » ou « abolir » les services de police suscitent une forte opposition. Cette résistance est largement imputable à un inconfort face aux objectifs de ce mouvement, et non pas à leurs slogans, ou encore à des sentiments négatifs envers les militants associés au mouvement en question, selon une nouvelle étude notamment menée par l’Université Yale.
Les travaux de recherche, récemment publiés dans Criminology & Public Policy, s’appuient sur des sondages nationaux menés au pays de l’Oncle Sam pour mieux comprendre les perceptions du public à propos de ces mouvements visant à définancer, abolir et réformer la police. Ces coups de sonde ont été effectués en 2020 pendant que des manifestants défilaient dans plusieurs villes du pays pour réclamer des réformes policières à la suite du meurtre de George Floyd, à Minneapolis, par le policier Derek Chauvin.
Les chercheurs ont constaté que les efforts visant à définancer et abolir la police sont impopulaires parce qu’ils visent à retirer des rôles traditionnels aux policiers – comme le fait de répondre à divers appels – et à réduire le nombre de policiers dans les rues.
« Nos conclusions suggèrent que l’appui en faveur des réformes policières dépend des convictions des gens à propos de la façon dont les changements proposés affecteraient le crime et la sécurité publique », mentionne Gregory Huber, professeur de science politique à Yale. « Nous avons constaté qu’il existait peu d’enthousiasme pour la réduction du budget de la police, la diminution de la taille des postes de police, ou encore de cesser de déployer des policiers lors de situations comme les surdoses de drogue et les gens saouls qui nuisent à l’ordre public. Au même moment, une minorité substantielle s’inquiète des questions de la violence policière et appuie des mesures qui changent la façon dont la police fonctionne, comme le fait de faciliter le congédiement des agents coupables d’inconduite. »
Le principal bloc de données utilisées dans le cadre de l’étude provient d’une expérience / sondage national effectué en octobre 2020 auprès de 1137 adultes américains. L’appui des répondants pour l’abolition (23%), le définancement (34%) et la réforme (66%) de la police correspond très largement aux sondages d’opinion réalisés vers la même période.
Les chercheurs ont d’abord cherché à savoir si l’absence relative d’appui pour les deux propositions plus radicales – l’abolition et le définancement des services de police – pouvait être expliqué par une déconnexion entre les slogans du mouvement et les objectifs en matière de politiques publiques. Pour tester cela, ils ont présenté, au hasard, l’un des slogans du mouvement aux participants, et leur ont demandé d’indiquer leur appui sur une échelle allant de 1 à 5.
Ils ont constaté que les participants soutenaient de façon plus importante les ambitions de réforme, plutôt que le définancement ou l’abolition, peu importe s’ils avaient un slogan ou des objectifs politiques sous les yeux. De fait, les ambitions de la réforme policière en matière de politiques publiques ont suscité l’intérêt le plus important dans l’ensemble des trois mouvements, selon l’étude.
Perceptions négatives
Les chercheurs ont par la suite cherché à savoir si les convictions des gens à propos des militants associés à chaque cause expliquaient l’absence d’appui public en leur faveur. Selon les résultats obtenus, 41% des répondants jugent que la plupart des partisans de l’abolition de la police sont aussi en faveur de la destruction des propriétés, et 46% croient que la plupart des tenants de ce même mouvement sont partisans d’attaques contre la police.
Par comparaison, les participants avaient les mêmes perceptions négatives pour les mouvements de définancement et de réforme, mais dans des proportions moindres. Les petites différences constatées portent à croire que les militants ne sont pas la seule raison expliquant les divers niveaux d’appui, selon les chercheurs.
Les participants à l’étude ont jugé que les partisans des trois mouvements étaient bien plus largement membres de la communauté noire que la proportion de Noirs dans la population américaine en général, mais ils ont estimé que les tenants du définancement et de l’abolition comptaient moins de Noirs que les groupes prônant la réforme. Là encore, les chercheurs estiment que la composition ethnique des groupes de partisans n’a pas d’impact sur l’appui de la population envers leurs objectifs.
En fait, la variation dans l’appui populaire tiendrait aux propositions politiques comme telles. Les chercheurs ont remarqué qu’à peine 42% des répondants jugeaient que ceux qui appuyaient la réforme policière voulaient éliminer les services de police, contre 52% et 65% d’opinions similaires lorsqu’il était question des tenants du définancement et de l’abolition.
Les répondants à l’enquête ont aussi estimé que les propositions associées au « définancement » et à « l’abolition » de la police réduiraient grandement les capacités d’intervention des services de police.
Dans le cadre de plusieurs mises en situation, dont une bagarre à l’extérieur d’un bar, une surdose d’héroïne, ou encore une personne saoule criant sur la voie publique, envoyer des agents gérer le problème était constamment le choix de prédilection. Pour l’ensemble des scénarios, ne pas envoyer de policiers était l’option la moins appréciée.
En général, le public était favorable à l’ajout de ressources provenant des services sociaux au sein des services policiers, mais pas de remplacer la police par des travailleurs sociaux.
Il existait également un appui très répandu pour plusieurs réformes, dont l’élimination des obstacles pour congédier des agents, accroître les rôles de travailleurs sociaux pour épauler les policiers, et interdire l’utilisation des prises d’étouffement, comme celle qui a tué George Floyd.