Mille pages; il faudra près de 1000 pages avant que ne débute réellement l’action dans L’Ours et le dragon, un roman de Tom Clancy paru en l’an 2000, et qui met en scène ce qui semble aujourd’hui impensable: une invasion chinoise de la Russie. Et s’il est effectivement nécessaire de préparer le terrain, en quelque sorte, l’auteur s’y applique de façon si gauche, si maladroite, qu’on se demande ce qui a bien pu justifier l’intérêt envers M. Clancy.
En fait, il faut rendre à César ce qui lui appartient: Tom Clancy est effectivement capable d’écrire des romans d’espionnage compétents. Rien de la trempe de John le Carré, bien entendu, ni de Robert Ludlum, mais de la littérature tout à fait acceptable, notamment avec À la poursuite d’Octore rouge, ou encore Le cardinal du Kremlin. Ironiquement, c’est la série Rainbow Six, avec ses déclinaisons vidéoludiques si nombreuses que nous en sommes maintenant rendus à des jeux mettant en scène des zombies, qui a gardé bien vivante la mémoire de l’homme.
Dans un passé alternatif, bref, le président Ryan, devenu chef d’État américain après avoir été un espion impliqué dans plusieurs missions de haut vol, vient à la rescousse d’une République russe qui, après avoir découvert de gigantesques gisements d’or et de pétrole, est menacée par la Chine voisine, où les dirigeants cherchent non seulement à mettre la main sur de « l’espace vital » en Sibérie, mais ne diraient certainement pas non, non plus, à se remplir les poches et à redresser leur économie.
Tout cela pourrait donner un excellent mélange de tensions politique, d’espionnage et de guerre à grande échelle. L’un des grands problèmes de l’histoire, cependant, c’est que Clancy cherche à décrire, en détail, toutes les étapes qui doivent être franchies avant d’en arriver au résultat final. Pire encore, peut-être dans une tentative de donner toute la place jugée nécessaire aux personnages, des chapitres entiers sont consacrés à des développements qui ne servent en rien à captiver le lecteur. A-t-on vraiment besoin de suivre les péripéties de l’équipe Rainbow, qui sera ultimement appelée à intervenir en catastrophe pour empêcher le lancement de missiles nucléaires? Faut-il absolument nous expliquer, à plusieurs reprises, que des responsables de la CIA reçoivent des informations compromettantes provenant directement de Chine? Et nous ne parlerons bien entendu pas de l’obsession de Clancy pour la nomenclature et les désignations. Que de pages gaspillées à différencier des missiles, à identifier des hélicoptères, ou à décrire, dans le moindre détail, l’utilité de certaines munitions.
Comme si cela n’était pas suffisant, les convictions idéologiques de Tom Clancy, si tant est qu’il en possède, sont exposées de façon un peu trop flagrantes. De Ryan, on retiendra qu’il déteste la politique, tout autant qu’il déteste les homosexuels, ou, encore, qu’il s’appuie sur un bon fond de sexisme pour fonctionner dans la vie de tous les jours. Ces traits de personnalité sont par ailleurs partagés par plusieurs autres personnages, Clancy venant dépeindre une Amérique ne fonctionnant qu’à l’argent et à la loi du plus fort, sans aucune considération pour l’empathie, la réflexion et la diversité d’opinion.
Pourtant, dans tout cela, certains rares moments sont bel et bien prenants. Mais ils sont noyés dans un océan de médiocrité littéraire. Ce journaliste a acheté sa copie usagée de cet ouvrage en déboursant 2,75$, et cet argent aurait probablement été mieux consacré à n’importe quoi d’autre. L’Ours et le dragon est un roman indigeste qui mérite de finir au pilon, ou au recyclage.