Dans les jeux vidéo, il y a bien sûr des visuels, des mécaniques, mais aussi – généralement – une bande sonore. Chez le géant des jeux mobiles Gameloft, on a voulu souligner l’apport important de ces artistes en lançant récemment non pas une, mais deux compilations musicales. Rencontre avec deux compositeurs de ce monde souvent moins bien connu.
Ils sont deux au bout du fil – ou, plutôt, au bout de la vidéoconférence: Vincent Labelle et Nicolas Dubé, tous deux compositeurs pour le studio de jeux vidéo, tous deux entrés chez Gameloft il y a 14 ans.
Le premier a travaillé sur High Scores: Music from Gameloft Games, une compilation de 17 titres tirés de plusieurs grands titres publiés depuis une vingtaine d’années par l’entreprise. Le second est responsable de la bande sonore de The Oregon Trail, la plus récente déclinaison du célèbre jeu racontant les tribulations des colons américains traversant les États-Unis pour se rendre sur la côte ouest.
Qu’est-ce qui peut motiver une personne à se lancer non seulement dans l’aventure de la création musicale, mais qui plus est dans le domaine spécifique des jeux vidéo? « Nous avons tous deux commencé il y a 14 ans… Le marché du jeu vidéo était vraiment différent, et ce qui était surtout différent, c’était le milieu du mobile », explique Vincent Labelle.
« Quand nous avons commencé, les jeux qui existaient, c’était les jeux sur des téléphones comme les Nokia. C’était des 300 pixels (de côté, NDLR), c’était des jeux qui étaient tout petits, des jeux qui pesaient 600 kilooctets, la taille d’un fichier Excel, c’est ridicule. Nous faisions de la musique à même les synthétiseurs qui se trouvaient dans les téléphones, dans le temps. Il y avait des jeux où il y avait une mélodie, parce que le téléphone pouvait seulement jouer une note à la fois. Certains jeux avaient droit à quatre notes. Gameloft était sans aucun doute le leader en la matière; nous avions une immense structure pour transmettre notre musique sur tous ces appareils », poursuit-il.
Toujours selon M. Labelle, le travail de compositeur consistait aussi à transposer la musique sur tous les appareils existants. « Il y avait les consoles, les Nintendo et consorts auxquels nous jouions quand nous étions petits, et le mobile, c’était en quelque sorte l’occasion de vivre un peu ce que c’était d’écrire pour ces médiums, et d’en tirer quelque chose de fun. Chez Gameloft, nous nous donnions vraiment la peine d’en tirer le maximum. Et avec l’arrivée d’appareils plus puissants, nous avons suivi l’évolution du jeu mobile jusqu’où il est rendu, aujourd’hui. Pour moi, c’était un rêve de créer de la musique pour des médias, en général. Les jeux vidéo n’existaient pas vraiment quand j’étais petit; je voulais faire de la musique pour la télé, pour le cinéma. Mais avec le recul, je crois que le jeu vidéo, c’est probablement ma meilleure décision. »
De son côté, Nicolas Dubé évoque lui aussi son « rêve de création de musique pour différents médias ». Celui qui a déjà créé de la musique pour de la danse, notamment, précise avoir également constaté une « évolution super rapide des jeux mobiles, contrairement aux générations des autres jeux ».
De l’idée aux partitions
Comment fonctionne la création musicale dans le domaine des jeux vidéo, en fait? Le processus va varier en fonction des circonstances, expliquent les deux hommes. « Cela peut aussi dépendre de la vision », indique Nicolas Dubé.
« Par exemple, si je prends The Oregon Trail, j’avais eu des discussions avec le directeur artistique du studio, à Brisbane. Lui, il avait vraiment eu une vision de départ; nous en avons discuté, et ce qu’il m’a dit m’a vraiment inspiré. Ensuite, nous avons écouté beaucoup de musique. Puis, il m’a laissé faire mes choses. Des fois, nous avons des responsables qui nous proposent d’aller dans une certaine direction des le départ. Mais d’autres fois, on me laissait carte blanche pour essayer certaines choses. »
« On arrive assez tard, dans un projet, au niveau de l’audio », renchérit Vincent Labelle. « Les niveaux existent, les menus existent… On peut en profiter, on peut le voir, y jouer, s’en imprégner. On a donc un bon premier feeling sur comment le jeu devrait être. Nous jouons à un jeu qui est dans une phase à peu près complète; nous arrivons alors avec une perspective nouvelle. C’est aussi une question de concevoir de la musique fonctionnelle, de la musique qui sert le jeu, qui rehausse les mécaniques, les émotions que le jeu peut amener. »
Et quand vient le temps de créer, M. Labelle ne s’en cache pas: « Il y a beaucoup de temps passé seul, dans un studio, avec ses instruments. » Mais, ajoute-t-il après un bref éclat de rire, certains jeux nécessitent aussi de faire appel à des musiciens, que ce soit des personnes embauchées à Montréal, par exemple, ou carrément des orchestres. « Cela apporte quelque chose de riche », dit-il.
Une fois la journée terminée, est-ce que des compositeurs de musique de jeu écoutent ce que font leurs collègues et confrères? Ou est-ce plutôt le temps de se changer les idées? « J’en écoute, de la musique de jeux vidéo… J’aime voir ce qui se fait ailleurs », mentionne Nicolas Dubé. « Ça permet de voir les choix qui sont effectués. Je vais aussi jouer à de petits jeux, des jeux indépendants qui m’impressionnent souvent par ce qu’ils arrivent à faire tout ça. Des fois, on doit viser un style que nous n’irions pas écouter nous-mêmes, mais dont le jeu a besoin, alors je me mets à en écouter beaucoup, découvrir des artistes que je ne connaissais pas… »
Le lancement des deux bandes sonores par Gameloft est par ailleurs perçu comme une reconnaissance du travail accompli par les deux compositeurs, mais aussi par leurs collègues. « C’est sûr que cela donne un bon coup d’exposure pour plein d’excellentes musiques », lance Vincent Labelle. « Cela a aussi permis de synthétiser, de condenser les bandes sonores de chacun des jeux » évoqués dans High Scores, par exemple.
Écoutez la version complète de cette entrevue réalisée dans le cadre du podcast Pixels et préjugés.