À l’aide d’entrevues avec des primatologues, des philosophes, des artistes et des médecins, le bédéiste Aurel livre une œuvre passionnante sur nos cousins « primitifs » et un véritable tour de force de vulgarisation avec l’album Singes : Quel genre d’animaux sommes-nous?.
L’humain est une drôle de bibitte. D’un côté, à part les créationnistes, qu’une telle idée enrage au plus haut point, nous nous entendons majoritairement pour dire que l’homme descend du singe, même si ce n’est pas tout à fait exact puisqu’il y a six millions d’années, la lignée des homininés s’est séparée de celle des primates et que nos deux espèces ont évoluées de manière bien différente depuis. D’un autre côté, bien que nous ayons 98,4% de gènes en communs avec les chimpanzés et 97,7% avec les gorilles, la plupart de nos comportements et de nos règles de société visent à gommer cette appartenance, et notre morale s’attache fortement à nous éloigner de ce que l’on considère comme étant un comportement animal. Les noms d’animaux sont même devenus des insultes dans le langage courant (porc, blaireau, âne, rat, etc.), et « être bête » constitue une expression que l’on associe au manque d’intelligence. Contrairement à nos cousins les singes, nous ne sommes pas à une contradiction près!
Tout au long du XIXème et du XXème siècle, les scientifiques ont étudié les singes comme s’il s’agissait d’une version primitive de l’homme, et leur ont demandé de nous parler de notre passé lointain et de notre état naturel. Évitant l’anthropomorphisme qui domine souvent ce genre de recherches, Aurel nous entraîne dans le sillage de nos lointains cousins avec l’album Singes : Quel genre d’animaux sommes-nous?. Des macaques balinais qui volent les touristes et troquent les objets dérobés entre eux pour de la nourriture en passant par Koko, le gorille qui parlait la langue des signes, d’un chimpanzé filmé alors qu’il en secourait un autre en effectuant diverses manœuvres de réanimation, et même de Pépée, le chimpanzé femelle de Léo Ferré, le livre brosse un portrait de ces animaux « primitifs », qui ont une hiérarchie et des liens sociaux, ne sont pas étrangers à l’utilisation des outils, possèdent leur propre langage et un système de communication, s’automédicamentent par l’usage de plantes aux vertus médicinales, observent le deuil, et développent même parfois un goût pour l’alcool.
Aurel a interviewé des dizaines d’experts pour ce livre, comme Fany Brotcorne, primatologue et éthologue spécialisée dans l’écologie comportementale, Vinciane Despret, philosophe des sciences et éthologue, Patrick Bouchitey, le créateur de l’émission La vie privée des animaux, Frans de Waal, l’un des primatologues contemporains les plus célèbres du monde occidental, Sabrina Krief, professeure au Muséum national d’histoire naturelle de Paris et spécialiste de l’écologie des chimpanzés, Guillaume Captier, professeur d’université et chirurgien en pédiatrie plastique, Benoit Létang, doctorant à l’université de Strasbourg qui étudie le comportement des gorilles, Audrey Garric, journaliste au service planète du Monde ayant publié des articles sur la captivité et l’extinction des espèces sauvages, Élise Huchard, vétérinaire et primatologue spécialisée en écologie du comportement, Christelle Hano, chef soigneur à la ménagerie du Jardins des plantes, ou Tetsurō Matsuzawa, l’un des plus grand spécialiste en primatologie.
Effectuées au feutre, au fusain et à l’aquarelle, les illustrations d’Aurel dans Singes : Quel genre d’animaux sommes-nous? sont assez simples avec leur assemblage de lignes nerveuses, mais vont droit au but, et l’artiste trouve toujours des mises en scènes efficaces et inventives pour transmettre des notions complexes. Sans être anthropomorphiques, les singes qu’il dessine sont remplis d’humanité, et arborent des regards très expressifs. En plus d’intégrer des articles de The Independent, Paris Match, La Nacion ou Libération à ses planches, il reproduit des scènes d’une vidéo de la fondation Jane Goodall, des images d’un documentaire de la BBC ou du film de Jean-François Barthod Quand les babouins adoptent des chiens. Très stylisée, sa coloration utilise habituellement un ou deux tons seulement par page. Le livre s’ouvre sur une préface du philosophe Baptiste Morizot, et se conclut avec une annexe contenant une bibliographie, ainsi que des codes QR menant vers différentes vidéos abordées dans l’ouvrage.
Tout en possédant le côté ludique d’une bande dessinée, Singes : Quel genre d’animaux sommes-nous? est un ouvrage de vulgarisation magistral, qui trouve facilement sa place aux côtés des œuvres des grands zoologistes comme Konrad Lorenz ou Desmond Morris.
Singes : Quel genre d’animaux sommes-nous? de Aurel. Publié aux éditions Futuropolis, 200 pages.