Lorsqu’un politicien que nous apprécions appuie une certaine politique liée à la pandémie de COVID-19, nous avons tendance à la soutenir également. Mais lorsqu’un adversaire politique donne son feu vert à la même politique, nous avons plutôt tendance à nous y opposer, selon une nouvelle étude de chercheurs du Colorado paraissant vendredi dans Proceedings of the National Academy of Sciences.
Sur une note plus positive, l’étude réalisée à l’aide de données et d’exemples provenant d’un peu partout sur la planète laisse entendre que si des politiciens de nombreux pays ont polarisé l’opinion publique pendant la pandémie, les experts scientifiques, disposant de la confiance du public, ont plutôt le pouvoir de l’unifier.
« Ces travaux démontrent que lorsqu’il est question de la COVID-19, à l’instar d’autres enjeux contemporains, les gens sont davantage influencés par le groupe ou les gens représentés par la politique, plutôt que par son contenu propre », mentionne le principal auteur de l’étude, Leaf Van Boven, professeur de psychologie et de neuroscience à l’Université du Colorado à Boulder.
« Cela révèle également que les gens font confiance et apprécient davantage les experts que les politiciens – même ceux de leur propre parti. »
Les politiciens polarisent, les experts font l’inverse
Pour l’étude, menée entre août et novembre 2020, M. Van Boven et ses coauteurs ont présenté un sondage à un échantillon représentatif de 13 000 participants répartis dans sept pays: Brésil, Israël, Italie, Suède, Corée du Sud, Royaume-Uni et États-Unis.
Les répondants, dont 3300 au pays de l’Oncle Sam, ont reçu comme tâche d’évaluer l’une de deux propositions de gestion de la pandémie, basées sur de véritables plans qui étaient envisagés, y compris des mesures comme la distanciation sociale, les règles mises en place en milieu de travail, le traçage des contacts et des restrictions imposées pour les déplacements.
L’une de ces propositions impliquait des restrictions plus sévères et priorisait « de garder sous contrôle le nombre de cas de COVID-19 ». Une autre visait plutôt à favoriser « la relance de l’économie, le plus possible, tout en empêchant une résurgence des cas ».
Dans une autre expérience, menée seulement aux États-Unis, les répondants ont évalué des plans de distribution de vaccins à l’échelle internationale, l’un d’entre eux favorisant une stratégie dite de « l’Amérique d’abord », et une autre adoptant une approche plus globale.
Dans le cadre des deux expériences, les participants se sont fait dire que la politique en question était soutenue soit par les élites libérales, les élites conservatrices, une coalition bipartite, ou par des experts scientifiques non partisans.
Les noms des élites ont été adaptés pour chaque pays. Par exemple, aux États-Unis, on mentionnait que la politique était appuyée par Donald Trump ou par Joe Biden; au Brésil, elle avait reçu le soutien du président Jair Bolsonaro ou par son rival politique, Fernando Haddad.
Dans tous les pays, les participants plus libéraux et conservateurs étaient largement plus portés à soutenir une politique lorsqu’on leur disait que leur propre parti l’approuvait. Lorsque les politiques étaient décrites comme ayant reçu l’appui d’une coalition bipartisane ou d’un groupe d’experts neutres, l’appui était à son maximum.
« Ces conclusions soulignent à quel point il est important que les communications proviennent de sources scientifiques qui ne sont pas vues comme politiques, et de faire en sorte que les politiciens les plus connus ne soient pas sous les feux des projecteurs lorsqu’il est question de communication en temps de crise », a indiqué la coautrice principale, Alexandra Flores.
L’aide offerte par les experts non partisans
Lorsque précédentes études sur les politiques liées aux changements climatiques, M. Van Boven a constaté que les résultats étaient similaires: les républicains et les démocrates avaient davantage en commun que ce qui était assumé, et basaient davantage leur appui sur l’allégeance de ceux qui proposent les politiques, plutôt que sur les dispositions desdites politiques.
Mais M. Van Boven a été surpris de constater qu’une telle polarisation politique a perduré de façon si vaste, même devant une crise planétaire sans précédant nécessitant une action urgente et coordonnée.
« Au début de la pandémie, plusieurs intellectuels ont prédit que ces divisions politiques seraient amoindries, et que nous nous serions tous unis pour affronter cette menace commune. Cela n’a pas été le cas », a indiqué M. Van Boven.
Les États-Unis n’ont pas été, comme cela a été largement assumé, le pays le plus divisé sur le plan politique dans la liste des nations examinées. La Suède, l’Italie et le Brésil étaient au moins aussi politiquement divisés, a indiqué l’étude, tandis que le Royaume-Uni était moins polarisé.
Pendant que la pandémie entame sa troisième année, les auteurs disent espérer que leurs conclusions encourageront les politiciens à se retirer de l’avant-scène et de laisser les experts scientifiques, libérés des considérations politiques, prendre l’initiative lorsque vient le temps de communiquer les mesures de santé publique.
« Lorsque la communication provient des politiciens avant que le public n’ait l’occasion d’évaluer les objectifs et résultats associés, cela peut rapidement politiser les choses, et contribuer à un esprit de non-coopération », a mentionné Mme Flores. « Une bonne façon de combattre cela est de faire en sorte que des experts non partisans soient ceux qui se prononcent en premier. »
Les chercheurs espèrent aussi que les individus se pencheront sur les raisons pour lesquelles ils appuient ou s’opposent à des plans en matière de santé publique.
« Dans plusieurs situations, la polarisation politique est un casse-tête qui ralentit les choses », indique M. Van Boven. « Mais dans le contexte de cette pandémie, cela coûte des centaines de milliers de vies. »