Plus que jamais en 2022, il faudra voir au-delà de l’anecdote: il y aura d’autres feux de forêt catastrophiques, d’autres records de chaleur dépassant l’entendement, d’autres événements météorologiques censés ne se produire qu’une fois par siècle. Mais au-delà de ça, comment mesurera-t-on si on avance dans la bonne direction?
Des cibles plus ambitieuses…
La conférence des Nations unies sur les changements climatiques, ou COP26, a beau avoir donné des résultats mitigés, il y a eu des avancées: un grand nombre de pays ont accepté de se soumettre à des cibles de réduction des gaz à effet de serre plus ambitieuses pour 2030 et 2050. Et il y a des raisons de croire qu’en vue de la COP27, qui aura lieu en Égypte en novembre, d’autres pays embarqueront. Certes, il reste beaucoup de chemin à faire pour traduire ces ambitions en actions concrètes: dans son dernier rapport en novembre, le Climate Action Tracker (CAT) évaluait que, sur 40 pays dont il avait analysé les promesses de neutralité carbone, seulement quatre présentaient des cibles « acceptables » pour maintenir le réchauffement sous la barre des deux degrés — et 28 des 40 n’offraient pas assez de détails pour qu’on puisse les évaluer. Mais le fait que ces cibles existent oblige ces pays à faire preuve de transparence, ce qui permet à des experts indépendants, comme ceux du CAT, de faire un suivi de leurs progrès —ou de leurs reculs.
… et un public plus sensibilisé…
Lié au point précédent, il y a le fait que l’opinion publique est plus sensibilisée que jamais à l’urgence d’agir. Et plus cette sensibilisation dépasse les lignes partisanes, plus les gouvernements sont poussés à agir. Une enquête du Centre de recherche Pew menée cet été auprès de 16 000 adultes de 17 pays a révélé une majorité (72%) désormais inquiète des changements climatiques, désireuse de voir ses gouvernements agir, et prête à des changements dans son mode de vie (80%).
Avec de telles études, le bémol est toujours qu’il y a une distance entre la volonté d’agir et l’action elle-même. Mais les chercheurs voient un motif d’encouragement dans le fait que d’une année à l’autre, les études de ce genre montrent une croissance régulière du pourcentage de gens qui se sentent concernés, qui sont critiques de l’inaction de leur pays et qui ont d’ores et déjà posé des gestes individuels.
… mais des émissions à la hausse.
En 2020, les émissions de GES mondiales avaient connu une baisse sans précédent, grâce au confinement. En 2021, ces émissions n’ont pas seulement rattrapé le niveau où elles étaient avant la pandémie, elles l’ont dépassé. Mauvaise nouvelle: le charbon a connu une forte croissance, au point d’atteindre un niveau record. La raison est double: d’une part, beaucoup de pays, dont la Chine, sont encore très dépendants de leurs centrales au charbon, et d’autre part, les énergies vertes ne sont pas encore au niveau où elles peuvent répondre à la demande mondiale. Avec pour résultat que l’une des tendances les plus significatives à suivre en 2022 sera celle de l’évolution de la demande du charbon, versus celle de l’éolien ou du solaire. L’Agence internationale de l’énergie publie régulièrement des rapports à ce sujet.
Des subventions sur la sellette…
L’autre tendance significative à suivre en 2022 sera celle des subventions aux énergies fossiles. Il y a longtemps que les écologistes en font un cheval de bataille, alléguant que les énergies vertes seraient plus concurrentielles si les gouvernements ne faisaient pas autant de cadeaux aux industries pétrolières et gazières, sous la forme d’aides directes (subventions) ou indirectes (incitatifs financiers, fiscaux, etc.). En novembre, une annonce dans le cadre de la COP26 a donc provoqué un choc: 20 pays, dont le Canada, ont annoncé qu’ils mettaient fin d’ici un an aux subventions aux carburants fossiles « à l’étranger ». Pas encore aux subventions aux industries sur leur propre sol, mais ce geste-là est manifestement la prochaine étape.
… et un milieu économique inquiet…
Si on en est rendu là, ce n’est pas juste à cause de l’opinion publique: les milieux économiques et financiers accordent de plus en plus d’attention aux factures causées par les ouragans, inondations et autres canicules. On entend désormais des propos qui auraient été impensables jadis: du magazine The Economist qui déplorait dès 2018 que les subventions aux énergies renouvelables soient en baisse, jusqu’au magazine médical The Lancet qui évalue les coûts économiques des changements climatiques sur la santé. Et cette annonce des 20 pays a été appuyée par cinq banques publiques, dont la Banque européenne d’investissement. C’est sans oublier les fonds de retraite et les organismes publics qui se sont ajoutés cette année à la liste de ceux qui retirent leurs placements des carburants fossiles. Un langage que peuvent difficilement ignorer les dirigeants politiques.
… mais pas inquiet sur tous les enjeux.
Toutefois, on n’a pas senti le même gain d’intérêt pour la protection des écosystèmes. Seulement 6 des 20 cibles que s’étaient fixés les différents pays lors de la conférence des Nations unies sur la biodiversité en 2010, ont été partiellement atteintes en 2020. La prochaine rencontre, qui doit avoir lieu en Chine du 25 avril au 8 mai, pourrait accoucher de paramètres plus clairs, une tâche qui pourrait en théorie revenir à l’IPBES, ou Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques. Cet organisme est à la biodiversité ce que le GIEC est aux changements climatique, mais n’est jamais parvenu à unifier la communauté scientifique autour de lui, ce qui n’aide pas à asseoir son influence. La marche est haute pour un « New Deal for Nature and People » évoqué par son président. Dans son dernier rapport, en 2019, l’IPBES évaluait pourtant à un million le nombre d’espèces animales et végétales à risque d’extinction.
Un problème de communication?
S’il fut un temps où la désinformation entourant les changements climatiques était facile à identifier — en gros: faire croire que tout cela n’est qu’un canular — celle-ci est devenue plus floue. Même les compagnies pétrolières se font moins hostiles à l’idée de règlementations. Mais en contrepartie, le fait qu’il s’agisse, pour le public, d’un sujet extrêmement complexe et étalé sur une très longue période de temps, facilite ce que des sociologues appellent la « rhétorique du délai » : minimiser l’urgence de manière à convaincre qu’on peut retarder les actions. Cela peut consister à rediriger la responsabilité de l’industrie vers les consommateurs, mettre de l’avant des solutions peu constructives (« un changement trop violent n’est pas nécessaire »), mettre l’accent sur les désavantages de l’action (« un changement produira trop de perturbations ») et baisser les bras (« il n’est pas possible d’atténuer les changements climatiques »). Difficile de dire la forme que tout cela prendra en 2022, mais si la pandémie doit servir de modèle, on peut s’attendre à ce que des professionnels de la désinformation et des bots envahissent les pages et les groupes des médias sociaux pour nier la crise climatique avec la même force qu’ils ont nié la crise pandémique.