Si Kim Jee-Woon n’est pas toujours le plus subtil des réalisateurs sud-coréens, il fait certainement partie de ses plus déjantés et sa nouvelle proposition, The Age of Shadows, l’une de ses plus sages à ce jour, est également l’une de ses plus soignées.
Sélectionné pour représenter la Corée du Sud à la prochaine cérémonie des Oscars, The Age of Shadows ne semble rien avoir de nouveau à offrir. C’est un thriller d’espionnage historique qui a tout ce qu’il y a de plus classique comme ingrédients. Après un passage plus ou moins réussi à Hollywood avec le mésestimé The Last Stand mettant en vedette nul autre que le grand Arnold Schwarzenegger, on pourrait penser que le cinéaste revient vers la sécurité et ce ne serait pas faux de l’avouer.
À la différence toutefois qu’il le fait avec classe et maîtrise et que cela s’avère gagnant puisque ce film qui a été présenté à la Mostra de Venise et au TIFF, a également dominé le box-office sud-coréen lors de ses deux premières semaines à l’affiche. C’est que le cinéaste qui signe également son scénario, plus complexe qu’il en a l’air, sait aussi admirablement bien s’entourer, armé ainsi d’un excellent directeur de la photographie (Kim Ji-Yong), du brillant Mowg aux compositions musicales audacieuses, mais aussi d’une distribution à tout casser dominée par le toujours merveilleux Song Kang-Ho avec qui il renoue après son western déchaîné The Good, The Bad, The Weird.
On se retrouve alors dans un jeu de chat et de la souris plus alambiqué et un brin moins tordu que dans I Saw the Devil, alors que les alliances sont doublées d’impostures dans cette Corée en pleine occupation japonaise. Entre la police, les rebelles et on passe, difficile de savoir exactement qui est de quel côté, ce, jusqu’à la toute fin.
Certes, il faut rester concentré pour ne rien manquer, mais le long-métrage s’assure d’être constamment captivant avec ses revirements de situation, mais aussi son sens admirable de la tension, mené de main de maître par l’excellence de la mise en scène de Kim Jee-Woon. Évoquant Tarantino en mode Inglourious Basterds et même Scorsese en mode The Departed, notamment, le cinéaste mêle les genres et les tons, et n’a pas peur de briser son propre rythme pour mieux décontenancer son spectateur.
Pourtant ce n’est pas par erreur ou pour malfaire, puisque tout est calculé avec minutie et les scènes mémorables se succèdent, ce, tout en multipliant les lieux dans lesquels elles se produisent. Du train à la gare, le visuel est constamment léché et la caméra parvient toujours à magnifier les moments, principalement ceux de fuites et/ou de poursuites.
Si les baisses de régime sont rares, on ne s’ennuie pas durant les 140 minutes corsées du long-métrage. C’est fait dans les règles de l’art, même dans sa violence, et pourtant, ça n’oublie jamais de tirer le meilleur profit du médium, soit, du cinéma. Pas un plan n’a l’impression d’être anodin et, à défaut de quelques fondus plus ou moins fluides, on laisse prédominer le cinéma, ce que la majorité des productions hollywoodiennes oublient, préférant surexpliquer ses histoires et faits historiques au point d’en oublier la force artistique de la chose. The Age of Shadows, lui, n’y manque pas.
Ce n’est pas grandiose ni révolutionnaire, mais c’est brillant et c’est significativement bien fait. C’est jusqu’à un certain point une leçon, captivante au possible, de comment raconter un pan d’histoire en tenant son spectateur sur le bout de son siège, ce, tout en étant au plus fort de son propre amusement. À découvrir sans plus tarder.
8/10
The Age of Shadows est présentement à l’affiche au Cineplex Forum de Montréal.