Deux ans après la tragédie d’Ayotzinapa, le médecin, docteur en psychologie et enquêteur sur les violations des droits de l’homme en Amérique latine, membre du Grupo Interdisciplinario de Expertos Internacionales ( GIEI ) envoyé par l’Organisation des États américains ( OEA ) à la ville d’Iguala dans l’État de Guerrero, Carlos Martín Beristain revient sur l’enquête sur la disparition de 43 étudiants dans une entrevue avec El País, le 26 septembre.
Q : Si vous étiez face à face avec le président du Mexique, qu’est-ce que vous lui diriez ?
R : Que la vérité, quoique désagréable à entendre, panse les plaies. Que la disparition forcée demeure une plaie ouverte pour les familles. Et que si l’enquête ne se résout pas, le cas va persister à jamais au Mexique.
Q : Vous avez confiance dans le gouvernement mexicain ?
R : Notre confiance dépend des suites de l’enquête. C’est fondamental, pas pour nous, mais pour le Mexique. Ne pas donner suite aux résultats va creuser la brèche de suspicion de la population.
Q : Que changeriez-vous si vous recommenciez l’enquête ?
R : J’éviterais de miser sur une seule hypothèse. Je poursuivrais les différentes orientations en fonction des preuves. Et, j’obtiendrais plus d’information sur les forces de sécurité.
Q : Vous ne pensez pas que les conclusions du GIEI ont été utilisées politiquement par les adversaires du président Peña Nieto ?
R : Notre travail est d’atteindre la vérité, nous n’avons pas d’intentions politiques. Nous avons toujours évité la polarisation.
Q : La politique a-t-elle entravé votre travail ?
R : Nous avons rencontré plusieurs obstacles, qui ont retardé les procédures et bloqué la prise de témoignages du 27e bataillon de l’infanterie.
Q : Le gouvernement a-t-il essayé de dissimuler de possibles responsabilités de l’Armée ?
R : Ils ont dissimulé des informations-clés au sujet de l’Armée. Il ne faut pas oublier que dans le scénario des faits, deux agents du Service des renseignements ont été impliqués. Il y a beaucoup de questions sans réponses.
Q : Pourquoi c’était si important d’interroger le 27e bataillon ?
R : Parce qu’ils ont surveillé les étudiants disparus et ont assisté les arrestations. Il faut connaître avec exactitude quel type de contrôle l’Armée exerçait dans la zone et quel a été son niveau réel d’intervention.
Q : On parle beaucoup de l’Armée, mais est-ce qu’on oublie le rôle déterminant du narcotrafic ?
R : Bien sûr que non. Pour nous, l’intervention du narcotrafic répond au scénario du cinquième autobus qui a pu être chargé d’héroïne et d’argent. C’est un élément central.
Q : Pourquoi le bûcher de Cocula est-il si important ?
R : La version du Procureur général de la République ( PGR ) propose ce bûcher comme point final du cas. Mais, les faits ne se sont pas arrêtés là.
Q : Ce n’est pas exagéré d’affirmer qu’il n’y a pas eu de bûcher ?
R : Ce qu’il n’y a pas eu, c’est un bûcher massif, comme le démontre l’étude expérimentale du Dr José Luis Torero.
Q : Parfois, cela renvoie l’impression que la réputation du PGR est entachée de mensonge, mais sans oser le dire clairement.
R : Ce que nous disons c’est qu’il n’y a pas de preuves de ce que la PGR avance. Nous ne valorisons pas, nous décrivons. Ce n’est pas une lutte à savoir qui va gagner. Ce que nous demandons c’est de discuter du cas, pas qu’on le manipule.
Q : Peut-on se fier au corps policier mexicain dans une enquête comme Ayotzinapa ?
R : Une enquête sur l’intervention des policiers est nécessaire. Nous avons travaillé avec la police fédérale, mais il y a des éléments survenus pendant la nuit du 26 septembre 2014 qui doivent être enquêtés. On ne peut pas minimiser leur importance, le simple fait de mener une enquête de fond peut redonner confiance à la population.
Q : La sortie du GIEI du Mexique a claqué la porte, y’a-t-il une possibilité de reconstruire les ponts avec le gouvernement ?
R : Nous ne sommes pas un acteur dans ce cas-ci, l’interlocuteur est la Commission Interaméricaine pour les Droits de l’Homme ( CIDH ).
Q : La tragédie d’Ayotzinapa reflète-t-elle plus l’échec de l’État mexicain ou la barbarie du narcotrafic ?
R : Les deux. Cela montre la connivence entre une partie de l’appareil d’État avec le narcotrafic à Iguala, mais aussi comment on a essayé d’inventer une histoire pour mettre fin à l’enquête.
Un commentaire
Pingback: Les 43 étudiants disparus au Mexique ont droit à une commission de vérité