Depuis 45 ans, le Stade olympique fait partie intégrante du paysage montréalais. Mais près d’un demi-siècle après la fin des Jeux de 1976, et dans la foulée de la pandémie, l’emblématique structure est à un point tournant de son existence. Portrait d’un bâtiment iconoclaste en deux temps. Aujourd’hui: un modèle d’affaires à repenser.
Lisez la première partie de ce reportage, sur le patrimoine bâti du stade.
Magnifique, audacieux, iconoclaste… L’immense structure du Stade olympique est impossible à rater, pour quiconque s’aventure dans l’est de la métropole. Immanquable, oui, mais en pleine transformation, même avant la pandémie. Finies, bien sûr, les parties des Expos, et ce depuis 2004, année du déménagement de l’équipe vers Washington, pour y prendre le nom de Nationals.
Finis, aussi, dans leur très grande majorité, les concerts titanesques rassemblant des dizaines de milliers de personnes là où défilaient autrefois les athlètes olympiques; aujourd’hui, les mélomanes se retrouvent au Centre Bell, dont l’acoustique est (légèrement) meilleure, ou au Parc Jean-Drapeau, quand la température le permet.
Finies, aussi, pandémie oblige, les grandes manifestations sportives dans la partie « stade »… du stade. Bien des activités, sportives comme touristiques, en fait, ont évidemment été mises en pause en raison de la crise sanitaire, qu’il s’agisse de matchs de baseball spéciaux, de compétitions d’athlétisme et, d’événements tenus dans le centre sportif, ou encore des visites dans la Tour de Montréal, à bord du célèbre funiculaire. Si la reprise pointe le bout de son nez, les gestionnaires du Parc olympique en ont profité pour faire peau neuve et ont accéléré la diversification de leurs activités.
Signe des temps, peut-être, ou symbole de ce passage d’un lieu principalement axé sur le sport à un lieu où l’on fait davantage de place au tourisme et aux activités économiques connexes, le nom officiel du Parc olympique a changé l’an dernier.
« Avant, nous étions la Régie des installations olympiques, de 1975 à 2020 », rappelle ainsi Cédric Essiminy, conseiller en relations publiques. « Depuis le 1er novembre 2020, nous sommes la Société de développement et de mise en valeur du Parc olympique… Ou, petit sobriquet: le Parc olympique. »
Ledit Parc relève du ministère du Tourisme, à Québec « depuis près d’une dizaine d’années, en raison de notre vocation touristique », poursuit M. Essminy.
De fait, le stade lui-même et ses alentours sont séparés en cinq sections, précise le conseiller en relations publiques: « l’esplanade, avec ses camions de bouffe de rue et ses spectacles; le stade lui-même, avec ses différentes aires de location; la Tour, avec les bureaux de Desjardins et l’observatoire, le Centre sportif, et, on ne les voit pas, mais il y a aussi le stationnement ».
Invisible, oui, mais incontournable, ce gigantesque stationnement de 4000 cases cachées sous le niveau du sol. « C’est une source importante de revenus, mais aussi une source importante d’investissements », indique encore M. Essiminy.
Propriétaire de l’ensemble du quadrilatère formé du boulevard Pie-IX, puis des rues Sherbrooke et Viau, ainsi que de l’avenue Pierre-de-Coubertin, le Parc olympique recueille ainsi des revenus auprès des différents partenaires qui y exploitent des bâtiments. Du côté des partenaires privés, il y a bien sûr le cinéma Starcité et le Stade Saputo, tandis que la Ville de Montréal y possède l’aréna Maurice-Richard et le Centre Pierre-Charbonneau. Sans oublier deux des musées d’Espace pour la vie, soit le Planétarium et le Biodôme (installé dans l’ancien vélodrome olympique).
Des revenus (et des subventions) par millions
Si le rapport annuel 2020 du Parc olympique n’est pas encore disponible – et nul doute que les données qu’il contiendra seront largement différentes des tendances observées au cours des années précédentes, pandémie oblige – l’édition 2019 du document indique que Stade olympique engrange, grâce à ses divers partenariats, ses droits d’entrée, ses ententes publicitaires et autres activités, environ 60 % de ses revenus. Le gouvernement du Québec fournit le reste, soit quelque 40 % des sommes rapportées. Une information qui est confirmée par M. Essiminy.
En 2019, donc, le Stade a engrangé des « revenus autonomes » de l’ordre de 24,6 millions de dollars. Et en 2018-2019, Québec a déboursé 16,2 millions pour combler le manque à gagner. Au total, l’exercice financier de 2019 s’est terminé avec un manque à gagner d’environ 3,5 millions.
En ajoutant ce montant à d’autres dépenses évaluées à 8,2 millions, notamment en raison de divers investissements, le Stade olympique a vu sa dette augmenter de près de 12 millions, en 2019, pour un total de 317 millions et des poussières.
Mais Cédric Essiminy rejette cette vision purement comptable de la situation, et vante plutôt la polyvalence du site: « le stade est avant tout un site événementiel », soutient-il. « Et sa force, sa grande force, c’est que c’est un site extrêmement modulable qui permet la tenue de n’importe quel type d’événement. Et peu de gens le savent, mais lorsqu’il y a eu la COVID-19, nous avons été un acteur de premier plan. »
La partie « stade » a ainsi accueilli le plus important centre de stockage de matériel médical au pays, et une vaste clinique de vaccination est toujours active non loin de l’entrée principale, qui donne sur Pierre-de-Coubertin.
« Pour former des préposés aux bénéficiaires, la Commission scolaire de Montréal (CSDM) a loué des locaux chez nous pour ce faire. Par la suite, nous avons accueilli une importante clinique de dépistage dans l’un de nos stationnement intérieur », indique encore Cédric Essiminy, qui évoque une « valeur sociale » pour le stade, « ce qui vient un peu déboulonner le mythe du fait qu’il ne se passe jamais rien, au stade ».
De par sa gigantesque taille, « le stade peut accueillir plusieurs événements simultanément, sans que ceux-ci n’entrent en conflit les uns avec les autres ». Tournages, concerts, rassemblements… On ne compte plus les sites d’entreposage ou autres salles multifonctions qui peuvent être aménagés selon les besoins des locataires du moment.
Il est effectivement particulièrement facile d’oublier, en observant la partie « stade » et les sections adjacentes, toutes entièrement vides, voire plongées dans le noir lors de la visite de ce journaliste, au mois de septembre, que le Stade est plus que son site entouré de gradins.
La nouvelle loi concernant le Parc olympique, adoptée en 2020 et accompagnée du changement de nom officiel de l’entité de gestion du quadrilatère olympique, « offre maintenant la possibilité d’établir des partenariats sur plusieurs années, ce que nous n’avions pas avant », précise M. Essiminy.
L’enthousiasme est évidemment palpable dans les propos de ce dernier, et on sent certainement une certaine fébrilité dans les différentes sections du stade: l’Esplanade n’a ainsi jamais été vraiment désertée, sauf au plus fort du confinement, quand les activités touristiques étaient carrément interdites par le gouvernement Legault.
Lors du passage de ce journaliste, on s’affairait à monter des kiosques en vue d’un prochain événement; le lieu a aussi accueilli, entre autres, des retransmissions de matchs du Canadien de Montréal, lorsque l’équipe de hockey est passée bien près de toucher à la Coupe Stanley.
Au Centre sportif, avec son centre aquatique de calibre olympique, les athlètes (et les profanes) sont peu à peu de retour. Ici, comme ailleurs sur le site olympique, la pandémie a permis de lancer ou encore compléter des travaux d’entretien, de rénovations, ou encore d’amélioration et d’agrandissement pour justement accroître l’offre sportive et récréotouristique des lieux.
Enthousiasme, encore une fois, oui, mais pour la relance complète de certaines activités pratiquement « cultes » du Stade olympique, il faudra s’armer de patience. Déjà, à la fin juin, Radio-Canada rapportait que les travaux de rénovation du funiculaire et de l’observatoire de la Tour ne prendraient fin qu’en 2023. Le projet est évalué à 55 millions de dollars, et pourrait permettre de sortir à l’extérieur de la tour inclinée de 165 mètres de hauteur – en étant bien attaché – et de marcher sur une corniche, à l’instar de la Tour du CN, à Toronto.
En attendant, le Stade trouve ses revenus ailleurs, notamment dans l’organisation d’événements ponctuels, plutôt que du côté du flot de touristes, eux qui étaient environ 200 000 en 2019, et ce, uniquement pour visiter la Tour.
Depuis la visite organisée pour Pieuvre.ca, l’espace central du stade a ainsi recommencé à accueillir des salons, avec l’édition 2021 du Salon du véhicule électrique de Montréal.
« Il faut voir le stade comme une bibliothèque »
Mais tout n’est pas qu’une question de sous, assure Cédric Essiminy. D’ailleurs, le Stade olympique n’a pas comme mission principale de « faire ses frais », dit-il.
Nous sommes un édifice public; la valeur d’usage prime sur les revenus.
« On ne peut pas voir le stade comme un édifice, comme un équipement qui va faire ses frais. Il faut le voir comme une bibliothèque, comme un palais des congrès, comme un musée; c’est un équipement dont la fonction première est sa valeur d’usage pour les citoyens. Et c’est pour cela que nous avons un volet gratuit très, très important. Oui, nous avons un volet financier, oui nous avons un volet de revenus, mais c’est important d’avoir un volet gratuit », explique M. Essiminy.
Il n’en reste pas moins que l’arrivée de Desjardins dans la tour, un site largement inutilisé depuis sa construction, a permis au Stade olympique d’engranger des revenus importants.
Valérie Lamarre, porte-parole pour cette entreprise, précise d’ailleurs que la coopérative occupe, depuis l’été 2018, près de 90% des espaces disponibles, en y faisant travailler plus d’un millier d’employés.
« Nous cherchions à regrouper les employés de différents bureaux de l’est de Montréal dans un emplacement qui se démarquait notamment par son accès aux transports en commun, la sécurité des lieux, et par les services offerts aux employés; la Tour de Montréal est sortie du lot », mentionne-t-elle par courriel.
« Selon nos sondages, les employés de la Tour aiment particulièrement leur environnement de travail », ajoute-t-elle, avant de préciser qu’en raison de la pandémie, « le taux d’occupation de nos bureaux demeure faible »
« Cela dit, avec un bail de 15 renouvelable et les investissements accordés à ce projet, la Tour de Montréal fait partie des édifices phares de Desjardins », conclut Mme Lamarre.
« Il n’y a rien, ici »
C’est bien beau de réunir 1000 travailleurs dans la Tour de Montréal, cinq (ou sept) jours par semaine, ou encore d’attirer des milliers de spectateurs pour un match de soccer au Stade Saputo, mais encore faut-il les encourager à demeurer – et consommer – sur place à l’heure du repas, ou une fois leur événement terminé.
Idem pour les visiteurs du stade et de ses diverses attractions, lorsque les rénovations seront terminées, et que l’activité touristique pourra retrouver son allant d’avant la pandémie.
Or, force est de constater que l’offre alimentaire, par exemple, est quasiment non existante dans les environs. Cédric Essiminy le reconnaît d’ailleurs très bien, en indiquant qu’auparavant, des cars déversaient leur cargaison de visiteurs pour venir, notamment, photographier les anneaux olympiques, avant de ramener tous ces gens au centre-ville, ou ailleurs dans la ville, pour poursuivre leur circuit touristique.
Selon une habitante du quartier, les environs du stade manquent de tout: non seulement de restaurants, à moins de vouloir se sustenter à l’aide de maïs soufflé ou d’autres exemples de bouffe rapide à prix élevé des concessions du Stade Saputo et du cinéma StarCité, mais aussi de commerces de proximité.
L’appel à une plus grande diversification commerciale a d’ailleurs été lancé dans le cadre des consultations publiques sur l’aménagement de l’avenue Pierre-de-Coubertin, où d’importants travaux ont lieu depuis plusieurs mois.
Cependant, de l’avis de Jimmy Vigneux, directeur général de la société de développement commercial de l’arrondissement Hochelaga-Maisonneuve, « il y a une offre autour du stade, mais elle se trouve en fait à quelques rues du stade, notamment sur la rue Ontario, où il y a 200 commerces, des restaurants, des bars, des boutiques ».
« L’enjeu est toujours le même: faire descendre les gens plus bas », à une distance d’environ 1 kilomètre. « C’est un peu difficile, parce que la station de métro est directement au pied du stade; les visiteurs ont ainsi tendance à aller sur place, à prendre des photos, puis à repartir directement vers le centre-ville, ou prendre l’autobus. Et malheureusement, ils manquent un peu de profiter de l’offre commerciale, en plus de rater l’occasion de découvrir le patrimoine du quartier, qui est à la fois très important et méconnu », dit-il au bout du fil.
« On peut ainsi parler de l’ancien marché Maisonneuve, du bain Morgan, du Théâtre Denise-Pelletier… Oui, je comprends qu’à proximité, à côté des installations olympiques, il n’y a pas d’offre commerciale, mais à quatre coins de rue, il y a la rue Ontario, et un peu plus bas, il y a même la rue Sainte-Catherine. »
« Je ne peux pas parler pour les gens du quartier olympique », poursuit M. Vigneux. « Mais pour nous, l’idéal, ce n’est pas de développer un nouveau pôle commercial à côté du stade, mais c’est d’essayer de faire des liens entre les deux. On aimerait que les installations olympiques fassent partie de la vitalité du quartier Hochelaga-Maisonneuve, et que cela ne soit pas juste quelque chose qui est un peu à part. »
Il y a plusieurs années, certains essais ont eu lieu pour favoriser ce rapprochement. Mais depuis, rien n’a été mis de l’avant. « Je pense qu’il y a une bonne partie de méconnaissance, puisqu’il y a beaucoup de touristes qui vont au stade, et s’ils ne voient pas le commerce de l’autre côté de la rue, ils ne se doutent pas qu’il existe tout un quartier à découvrir. Est-ce que c’est vraiment un problème de transport en commun? On avait déjà pensé à faire des navettes gratuites… Mais les idées, c’est toujours un peu la même chose, il faut investir de l’argent, le coût est important. »