Les gens déplacés pour cause de climat se comptent désormais par dizaines de milliers chaque année, à travers l’Amérique du Nord. Qu’il s’agisse de Lytton, ce village de Colombie-Britannique détruit par un incendie, ou de ces quartiers urbains victimes de la hausse du niveau de la mer, ces déplacés vont mettre de plus en plus de pression sur les communautés voisines.
Pour les gens qui sont déplacés, il faut compter sur le traumatisme émotif d’avoir perdu une maison et tout ce qui vient avec. Pour les communautés d’accueil, cela peut se traduire par un marché résidentiel réduit et par des services sociaux qui se retrouvent pris à la gorge. Certains experts commencent même à référer à une « gentrification climatique » — là où les gens les plus riches parmi ceux qui ont dû quitter font augmenter le prix de l’immobilier, obligeant les plus pauvres de leurs nouvelles communautés à quitter.
« Avec n’importe quel type de catastrophe, les gens qui ont des ressources vont trouver. Ça leur coûtera plus cher, mais ils trouveront des façons de survivre », résume Mike Flannigan, de l’Université Thompson Rivers, en Colombie-Britannique. « Les gens pauvres vont souffrir le plus. »
Selon un rapport publié en 2020 par un groupe de réflexion (SPARCC) sur les impacts à venir des changements climatiques sur les communautés et leurs infrastructures, ces impacts peuvent prendre la forme de « déplacements directs à la suite de dommages à la propriété causés par des ouragans ou des incendies, d’une hausse des factures d’électricité et des polices d’assurance, ou du risque que les investissements en atténuation et en adaptation augmentent la valeur des propriétés et accroissent l’embourgeoisement du voisinage ».
« Ça importe peu si vous ne croyez pas aux changements climatiques. Votre compagnie d’assurance, elle, elle y croit » , résumait récemment au Washington Post l’analyste en investissements Nick VinZant.
En fait, ces dernières années, certaines compagnies aux États-Unis ont commencé à carrément refuser d’assurer des maisons dans des zones à risque d’incendies, obligeant des propriétaires à ignifuger le bâtiment, à des coûts prohibitifs, selon un rapport du Pew Research Center.
Depuis 1980, des centaines de milliers de personnes ont dû temporairement évacuer leur résidence en raison des feux de forêt au Canada, la plupart en Colombie-Britannique et en Alberta, et leur nombre a augmenté ces dernières années, selon le Service canadien des forêts. Rien qu’en 2021, plus de 40 000 personnes ont reçu des ordres d’évacuation.
La pire année reste tout de même 2016, lorsque l’incendie de Fort McMurray, dans le nord de l’Alberta, a forcé la fuite de 88 000 personnes et résulté en des pertes assurables de 3,8 milliards$. Selon un recensement régional réalisé en 2018, la population a diminué de 10,7% entre 2015 et 2018, attribuable en majeure partie à l’incendie, surnommé « La Bête », et pour le reste au marasme économique qui avait commencé à frapper le secteur du pétrole et du gaz de l’Alberta.
Quand une ville devient un point de chute
La ville de Kamloops, Colombie-Britannique, est devenue malgré elle un carrefour pour les évacués, parce qu’elle est traversée par l’autoroute transcanadienne.
Selon son maire, Ken Christian, la ville aurait servi de refuge à 10 000 personnes en même temps, en 2017 —ce qui représente 10% de sa population. Les incendies cette année-là avaient dévasté un territoire record dans l’histoire de la province —record qui allait être battu l’année suivante.
Jusqu’ici, Kamloops a surtout été confrontée à des déplacements de courte durée, hébergeant ces gens temporairement dans des arénas et des hôtels. Mais accueillir des évacués à plus long terme pourrait représenter un défi, explique le maire, considérant que la municipalité vit déjà une crise du logement.
« Les défis auxquels nous avons fait face en 2017 pourraient ne pas avoir été une anomalie », concluait en 2018 un rapport indépendant commandé par le gouvernement de Colombie-Britannique.
S’y préparer plutôt que de réagir
Il existe évidemment des façons de se préparer à ces crises, ou de les atténuer, plutôt que de seulement réagir quand elles surviennent. Par exemple, apprendre à vivre avec les incendies, plutôt que de seulement tenter de les éradiquer. C’est ainsi que des feux contrôlés aident à régénérer la végétation et brûlent une partie du « carburant » excédentaire —la végétation combustible. Selon la porte-parole des services d’urgence de la Colombie-Britannique Aimee Harper, le gouvernement soutient la gestion de tels projets à l’échelle locale, et fait essentiellement du « triage » de feux: certains sont combattus, d’autres sont observés mais sans intervenir s’ils ne menacent pas la sécurité du public.
Reste que, pour rendre les futurs avis d’évacuation moins traumatisants, davantage de maisons devraient être à l’épreuve du feu, spécialement dans les communautés difficiles d’accès, prévient Mike Flannigan.
Pour Yvonne Su, professeure en études sur l’équité à l’Université York, et spécialiste des migrations, le Canada est « bien placé » pour faire face aux crises climatiques, mais « même quand vous êtes dans un des meilleurs endroits du monde, vous restez vulnérable ».
Selon Amy Cardinal Christianson, experte en incendies au Service canadien des forêts (SCF), il y a d’ores et déjà des exemples d’évacués au Canada qui ont choisi de rester dans leur communauté d’accueil plutôt de rentrer chez eux. Et les risques sont beaucoup plus élevés chez les Premières nations: bien qu’elles ne composent que 5% de la population canadienne, 34,8% des avis d’évacuation à cause des feux ont touché ces populations, selon le SCF.
Mais le Canada ne calcule pas combien de gens ont été déplacés à long terme à cause de désastres naturels. Selon Yvonne Su, ce trou dans les données rend difficile de pousser les gouvernements à mettre en place des protections et du financement —vous ne pouvez pas, dit-elle, régler un problème si vous n’en avez pas encore pris conscience.