On fait grand cas, avec raison, de la responsabilité des grands groupes industriels, ou encore des entreprises extrayant, raffinant et distribuant les combustibles fossiles, dans la crise climatique qui détruit lentement notre planète. Une organisation souhaite maintenant s’attaquer à un intermédiaire qui permet justement aux pires des pollueurs d’obtenir du financement: les banques.
Au bout du fil, Zak Gottlieb, cofondateur et responsable de l’initiative Bank.green, explique un concept relativement simple: évaluer quelles institutions bancaires offrent du financement aux entreprises qui alimentent les changements climatiques, que ce soit en exploitant du charbon, par exemple, ou en ralentissant la transition énergétique, et convaincre leurs adhérents de déménager leurs avoirs ailleurs, histoire de faire pression sur ces mauvais exemples.
Ultimement, l’effet peut faire boule de neige, et pousser ces institutions financières à changer leur fusil d’épaule et désinvestir dans des secteurs destructeurs pour notre monde.
« Bank.green a pris naissance en avril de cette année », mentionne M. Gottlieb. « Notre première campagne a eu lieu trois semaines avant le Jour de la Terre, mais la conception remonte à bien plus loin. Je travaillais pour Extinction Rebellion (le mouvement militant de lutte contre les changements climatiques, généralement sous la forme de manifestations et autres actions d’éclat, NDLR), en aidant à divers groupes à se lancer, et je travaillais sur diverses stratégies, y compris la gestion du blogue. Et l’un des rédacteurs dudit blogue m’a approché, un jour, et m’a dit qu’il voulait écrire à propos des banques commerciales qui utilisent notre argent pour financer la crise climatique. Apprendre que, pratiquement dans mon dos, mon argent serve à quelque chose qui est complètement à l’opposé de mes intérêts était choquant. »
Toujours au dire de M. Gottlieb, « la plupart des gens doivent avoir une petite idée que les banques ont quelque chose à voir avec les combustibles fossiles, mais personne ne connaît les sommes exactes, et à quel point l’industrie des carburants fossiles dépend de ces sources de capital ». L’article écrit par le rédacteur en question a connu un succès viral, et de là est venue l’idée d’une autre organisation, plus mainstream qu’Extinction Rebellion, qui est un mouvement « à l’avant-scène du mouvement environnementaliste ».
Le fonctionnement de Bank.green comprend deux étapes principales: d’abord, vérifier si la banque à laquelle nous avons confié nos sous fait partie des institutions qui encouragent effectivement la crise climatique en finançant l’exploitation des combustibles fossiles. Ensuite, si tel est le cas, le consommateur est invité à choisir une nouvelle banque qui, elle, n’investit pas dans ce secteur, ou qui, mieux encore, encourage carrément des initiatives vertes.
« Nous avons fait beaucoup de recherche dans plusieurs pays pour offrir les trois meilleures banques sur le plan environnemental à chaque endroit, par exemple », poursuit M. Gottlieb.
L’organisation a fait parler d’elle pendant la COP26, la plus récente conférence internationale sur le climat, mais maintient aussi des activités à plus long terme, comme la création de la Fossil Free Banking Alliance, un regroupement d’institutions financières qui ont fait leurs devoirs en matière de protection de l’environnement. De fait, « il existe plusieurs banques qui n’investissent pas dans les énergies fossiles, mais qui n’ont pas encore nécessairement diffusé cette information; voilà pourquoi nous avons formé cette alliance, qui compte cinq banques pour l’instant », afin de faciliter la reconnaissance des « bonnes » banques en matière de protection du climat.
Comment trouver les bonnes informations à propos des investissements des banques? Entre autres rapports et études, Bank.green s’appuie sur la plus récente édition du document intitulé Banking on Climate Chaos – Fossil Fuel Finance Report.
Publié par six organisations environnementales, dont BankTrack et le Sierra Club, ledit rapport établit notamment un rapport des « pires joueurs ». « Vous pouvez avoir un débat à savoir si c’est leur faute, ou si le gouvernement ne les encadre pas assez », indique encore M. Gottlieb, mais le fait est que le classement annuel existe.
Il existe une corrélation: plus une banque est importante, plus il y a de chances qu’elle finance les combustibles fossiles.
-Zak Gottlieb
Le Canada, l’un des pays cancres
Et quels sont les « pires » pays en matière de financement de l’industrie des carburants fossiles via leur secteur bancaire? Les États-Unis, le Royaume-Uni et… le Canada sont en tête de ce douteux palmarès. « Aux États-Unis, par exemple, bien loin devant les autres, il y a JP Morgan, Wells Fargo, Citibank et Bank of America. Cela représente environ 50 % du secteur bancaire américain. Cela veut dire que les visiteurs des États-Unis qui visitent notre site web auront une mauvaise surprise », poursuit M. Gottlieb.
Au Canada, il ne semble pas exister de liste des banques à éviter, mais le classement des institutions « acceptables », aux yeux de Bank.green, est particulièrement réduit: seules la DUCA Financial Services Credit Union et Vancity sont vantées comme étant des banques « vertes ». L’une possède des succursales dans le sud de l’Ontario; l’autre est sise en Colombie-Britannique.
Et au Québec? Plusieurs grandes enseignes, comme Banque de Montréal et la CIBC, ont en fait investi tellement d’argent dans les énergies fossiles qu’elles sont classées dans un club « sélect » qui a fourni quelque 3800 milliards de dollars dans cette industrie honnie. La CIBC, en fait, est classée « 4e au monde pour le financement de l’exploitation des sables bitumineux », l’une des méthodes les plus polluantes pour produire du pétrole.
BMO, elle, est « 1ère au Canada pour le financement des mines de charbon », affirme le site web de Bank.green.
Un lien permettant d’obtenir plus de détails renvoie vers le site FossilBanks.org, qui soutient que BMO a englouti 97,21 milliards de dollars US en financement des carburants fossiles entre 2016 et 2020.
La Banque TD et la Banque Scotia figurent elles aussi dans la liste des institutions vivement critiquées par cet autre organisation, tout comme la RBC.
Quant à Desjardins, il est indiqué que la coopérative « finance » les combustibles fossiles, mais de façon moindre, et sans plus de détail quant aux sommes investies.
Toutes ces informations sont-elles suffisantes pour convaincre les internautes de changer de banque? Zak Gottlieb reconnaît qu’il est un peu difficile d’obtenir des données fiables, notamment parce qu’il est nécessaire que les individus s’engagent non seulement à effectuer ce changement, sur le site web de Bank.green, mais qu’ils aillent effectivement de l’avant en ce sens, avant d’indiquer le succès de l’opération à l’organisation, par la suite.
Le responsable avance cependant que plusieurs centaines de personnes ont déjà respecté leur engagement pour des services bancaires plus verts.
Avec « l’échec démontré des gouvernements à la COP26 », mentionne encore M. Gottlieb, il faut donc se tourner vers les individus pour mettre les banques au pas. Reste à voir si les efforts porteront fruit.