Emmanuelle Ceretti-Lafrance
Terminus est une pièce de l’auteur irlandais Mark O’Rowe traduite par Olivier Choinière et mise en scène par Michel Monty. Elle est présentée jusqu’au 29 octobre au Théâtre de La Licorne. Préparez-vous, cher public, à un univers avec des airs de fin du monde. Un univers où chaque personnage passe une nuit difficile, une nuit endiablée.
Le début était prometteur. Les lumières se ferment doucement dans la salle pleine de la Grande Licorne. Dans une scénographie à l’italienne, une femme (Martine Francke) entre en scène. Elle est volontaire dans un centre d‘appels pour gens en détresse et est sur le point de recevoir un appel de l’une de ses anciennes élèves qui changera sa vie à jamais. Une jeune femme (Alice Pascual) fait son entrée après elle. Elle brave sa solitude après un accident de pâté à la viande et sort avec un couple d‘amis pour aboutir sur une grue dans un chantier de construction. Sa chute est le théâtre d’une rencontre hors du commun. Puis, un homme (Mani Soleymanlou) apparait. Sa gêne maladive l’empêche de parler aux femmes et de vivre une vie à la hauteur de ses attentes. Il décide alors de vendre son âme à Satan en échange d’une voix qui émerveille et séduit le monde entier. Je l’avoue, à ce moment, je suis intriguée.
Il existe peu de pièces de théâtre fantastique dans le répertoire québécois. Ou peut-être seulement des pièces de folklore qui racontent l’histoire éternelle de la chasse-galerie. La pièce de Mark O’Rowe est différente. Les personnages sacrent, tuent, font l’amour dans un étalage de monologues pantelants. Les uns après les autres, ils racontent leur histoire. Le public découvre alors des liens inattendus entrent les personnages, où la trahison de l’un devient le désir de l’autre.
Plus le temps passe, plus les monologues nous essoufflent. Les histoires de chaque personnage commencent à devenir un peu trop tirées par les cheveux. D’accord, j’accepte les conventions d’un monde où Satan existe, où un démon est fait d’un million de larves, où on peut miraculeusement échapper à la mort et même vendre son âme. La pièce pousse la donne trop loin alors que les protagonistes vivent des péripéties de plus en plus absurdes et abracadabrantes. C’est à ce moment que j’ai décroché. La folie intrigante du début a fait place à une ribambelle d’actions chaotiques.
Malgré un rythme soutenu tout au long de la pièce, cette dernière anhèle et devient petit à petit hors d’haleine. Les acteurs sont talentueux et sont à la hauteur du style monologué effréné, mais le jeu de Martine Francke jure avec celui des autres. Alors que ses compères tendent vers un ton plus comique, réaliste et presque satirique, le sien est dramatique. Le texte perd de son naturel et prend une tournure un peu trop théâtrale pour le style de la pièce, jusque là assez minimaliste dans sa mise en scène. La seule pièce de décor est l’écran de fond qui projette des images montrant les lieux et les actions dans lesquels les personnages évoluent. Un choix judicieux, car une scénographique chargée aurait été trop lourde pour un texte d’une aussi grande intensité.
La pièce se termine et me laisse dans un sentiment ambigu. Ai-je aimé cette représentation théâtrale? Je ne sais pas. Est-ce que je la recommanderais? Oui, sans aucun doute. Si ce n’est que pour aller forger sa propre opinion et nous demander pourquoi cette pièce est-elle montée aujourd’hui? Qu’est-ce que nous en retirons? De ne pas perdre son temps, car le temps manque souvent? De ne pas passer des années sans voir quelqu’un, car lorsque nous sommes prêts à affronter son regard, il est peut-être trop tard? Que le grand amour peut être vécu de manière inattendue et inopportune? Que se que nous pensions avoir besoin toute notre vie ne résout pas nécessairement les problèmes de l’âme et que c’est ce qui est au plus profond de soi qui doit se régler et qui est la source même du problème? Terminus, un miroir de notre solitude et de notre civilisation à travers le surnaturel.