Depuis 45 ans, le Stade olympique fait partie intégrante du paysage montréalais. Mais près d’un demi-siècle après la fin des Jeux de 1976, et dans la foulée de la pandémie, l’emblématique structure est à un point tournant de son existence. Portrait d’un bâtiment iconoclaste en deux temps. Aujourd’hui: le patrimoine bâti, toujours bien solide.
Dans les tortueux corridors souterrains du stade, le moteur électrique de la voiturette semble sur le point de rugir; de part et d’autre défilent d’autres embranchements, diverses salles, des entrepôts, des travailleurs. Aux commandes du véhicule, Cédric Essiminy, conseiller en relations publiques du Parc olympique, semble prendre un plaisir certain à manoeuvrer à bonne vitesse. Quant à ce journaliste, entre une main qui tient le téléphone, qui sert ici de magnétophone, et l’étui de son appareil photo serré entre ses jambes, il se cramponne, l’autre main sous le siège, pour éviter de chuter de l’engin qui ne compte ni portières, ni ceintures de sécurité.
« Le Parc olympique, c’est une petite ville; et donc, ici, on a tous les corps de métier qui sont représentés », mentionne M. Essiminy, alors que la voiturette s’engage au « niveau zéro », soit dans l’étage auquel les visiteurs n’ont normalement pas accès. On y trouve « des soudeurs, des ferblantiers, des menuisiers, des charpentiers, des plombiers, des mécaniciens, des électriciens », ajoute-t-il.
Et bien entendu, c’est aussi à ce niveau zéro, dans ces corridors en béton terne et à l’éclairage blafard, qu’ont déjà circulé les camions transportant le matériel destiné aux groupes qui se sont produits dans l’enceinte. Sans oublier que c’est également par là que transitait le matériel olympique, il y a 45 ans.
Qui dit Jeux olympiques, d’ailleurs, dit « aire de jeu », cette zone gigantesque où on prit place près de 60 000 personnes, en 1976, pour l’ouverture des compétitions. Pour l’instant, le lieu qui a accueilli les Expos pendant des décennies, ainsi que des matchs des Alouettes, est entièrement vide. Plus spectaculaire encore, pratiquement tout l’éclairage y est éteint; après avoir servi de « plus grand entrepôt de matériel de protection contre la COVID-19 au Québec », avec probablement des centaines, ou encore des milliers de caisses de matériel médical, à quoi bon gaspiller de l’énergie et de l’argent?
Sur place, l’ambiance est à tout le moins particulière; entrer sur cette aire de jeu donne un aperçu du côté titanesque de ces installations bâties dans la controverse, à l’époque, et qui n’étaient même pas terminées lorsque le coup d’envoi des Jeux a été donné.
« Le Stade olympique est un grand bol, et sa particularité est qu’il n’y a aucune colonne », explique M. Essiminy en parlant de cette gigantesque aire de jeu. « C’est le plus gros amphithéâtre au Canada », ajoute-t-il.
C’est sans doute dans cet endroit que l’ampleur du rêve de l’architecte Roger Taillibert peut se déployer entièrement. À cette immensité libre de tout encombrement, en raison des « arceaux » situés en périphérie, qui soutiennent une partie du poids de la structure, il faut ajouter l’anneau d’éclairage, haut de deux étages, qui ceinture l’aire de jeu, des dizaines de mètres dans les airs.
Quelques minutes plus tard, après l’ascension de quelques étages en voiturette – la quasi-totalité des installations olympiques est accessible à l’aide de ce véhicule, et principalement les différents niveaux de la section « stade », avec ses rampes en béton et son absence pratiquement totale d’escaliers mécaniques –, l’impression de gigantisme est encore plus marquée. Installé tout en haut de la zone « 400 », directement derrière le marbre, ce journaliste prend quelques instants pour contempler non pas 40 siècles, mais plutôt 45 ans d’ingénierie et d’audace.
Une audace, ou peut-être plutôt une vision de grandeur qu’il est difficile de voir, de nos jours. Il serait effectivement difficilement envisageable de planifier la construction d’une structure si imposante, de nos jours. Le plus récent projet sportif d’envergure, le Centre Vidéotron, à Québec, a donné naissance à un bâtiment pouvant accueillir moins du tiers de la capacité du stade, sans compter tous les aménagements supplémentaires. Le prix est à l’avenant, certes, mais il n’était pas question, non plus, d’accueillir les Jeux olympiques dans la Capitale-Nationale.
Une fois disparu le léger vertige imputable au perchoir inattendu du niveau 400, M. Esseminy se tourne vers la structure qui soutient justement le stade. « C’est en béton préconstruit, qui était, à l’époque, une technique qui était très peu connue, en Amérique du Nord. »
« Souvent, on avait l’habitude de construire en acier; aujourd’hui, malgré ce que les gens en disent, le stade est en très bonne santé, en termes d’infrastructures. L’entretien des 10 dernières années » a aussi beaucoup aidé, précise le conseiller en relations publiques.
Vieux, le Stade olympique? En 2021, indique-t-on, sa durée de vie est estimée à une centaine d’années. « Autant dire que le stade va tous nous survivre », assure M. Essiminy.
Ce dernier assure que « des évaluations régulières » ont lieu, et qu’il existe un « calendrier d’entretien ». Car les ouvrages en béton des années 1960 et 1970 ont mauvaise presse, au Québec, principalement lorsqu’il est question de ponts et viaducs. Aucun risque, cependant, que le stade ne nous tombe sur la tête.
« Tous les cinq ans, il y a une évaluation complète » de la bâtisse, ajoute M. Essiminy.
De mauvaises surprises peuvent cependant survenir: l’été dernier, des poutres situées près de la station de métro Pie-IX ont dû être remplacées. « Ça a été construit en 1976, c’était un endroit auquel nous n’avions pas accès », explique le conseiller en relations publiques.
« Est-ce que c’était aussi pire que ça a été joué? Je laisse cela au public. Mais je peux dire qu’en tant que porte-parole du Parc olympique, il n’y avait pas de danger. »
« Parlons-en, du toit! »
Impossible de ne pas en parler, tant l’affaire a fait les manchettes pendant de très nombreuses années: le stade finira enfin par avoir sa nouvelle toile au-dessus de son aire de jeu, toile qui sera fixe.
« Le Stade olympique a coûté 1,7 milliard de dollars; en dollars d’aujourd’hui, on parle de 3,5 milliards. C’est sûr que changer un toit sur un équipement de cette valeur, c’est proportionnel », convient M. Essiminy.
« Quand nous avons regardé les études et les besoins, nous avons constaté que pour une toile amovible, le jeu n’en valait pas la chandelle. Les événements qui requièrent un stade ouvert sont très peu nombreux, et très peu payants. »
Bien entendu, le Parc olympique n’est pas que son stade, mais englobe le quadrilatère formé des rues Sherbrooke, Pie-IX, Pierre-de-Coubertin et Viau, un gigantesque espace qui accueille aussi l’aréna Maurice-Richard, le centre Pierre-Charbonneau, certaines installations d’Espace pour la vie – le Planétarium et le Biodôme, ce dernier ayant été aménagé dans l’ancien vélodrome olympique –, et depuis quelques années, le cinéma StarCité et le stade Saputo, où joue le Club de football Montréal.
L’ancien village olympique, lui, est situé plus à l’est, sur Sherbrooke, et a été converti en logements depuis des décennies.
Outre ces bâtiments, on compte également bon nombre de stationnements, mais aussi de gigantesques espaces bétonnés qui servaient de terrasses à l’époque des Jeux. Voilà quelques années que le Parc olympique y tient des événements estivaux; on y a aussi récemment rouvert des fontaines datant de 1976 qui avaient par la suite été recouvertes.
Impossible de ne pas mentionner, non plus, l’aménagement des locaux du mât du Stade, inoccupés pendant des dizaines d’années, qui accueillent maintenant principalement des bureaux de Desjardins. Du moins, avant la pandémie, bien entendu.
Un patrimoine à préserver
Au bout du fil, Taïka Baillargeon, directrice adjointe des politiques chez Héritage Montréal, est formelle: « Oui, le Stade olympique a une valeur patrimoniale. » Il y a d’ailleurs eu des études en ce sens, précise-t-elle.
La question se pose, non seulement parce que le stade représente un pan important de l’histoire de la métropole, mais aussi parce qu’il est toujours lié, qu’on le souhaite ou non, au fonctionnement de la ville. Non seulement parce que deux stations de métro (Pie-IX et Viau) y sont connectées, mais aussi parce qu’on y tient encore de nombreux événements. Sans oublier, bien entendu, son rôle de clinique de dépistage et de vaccination contre la COVID-19 depuis l’éclatement de la crise sanitaire, entre autres fonctions.
« Il n’y a pas de question, en fait; je pense que tout le monde est assez unanime pour affirmer que plusieurs valeurs sont associées au Parc olympique », explique Mme Baillargeon.
D’abord, une valeur historique, tel que déjà mentionné, avec les Jeux de 1976; ensuite, la valeur architecturale, puisque « le stade est une infrastructure unique avec son toit, qui était unique en son genre. C’est aussi, sans doute, la plus grande oeuvre de Roger Taillibert. Il ne faut pas non plus oublier la « valeur urbaine, puisque le développement du stade, mais aussi du parc qui l’accompagne, a été effectué dans une perspective de mise en valeur de l’est de Montréal ».
« La décision de tenir les Jeux au parc Maisonneuve était ancienne, et remontait aux années 1930 », poursuit Mme Baillargeon. « Le maire Jean Drapeau a affirmé sa volonté de rénover l’est de la ville pour rééquilibrer le développement, qui était très centré sur l’Ouest. En plus, l’aménagement très minéral est supposé servir de miroir au parc Maisonneuve, qui lui est vert. »
« Et évidemment, il y a une valeur emblématique très, très importante: Montréal, c’est le Stade olympique, au même titre que la Biosphère. C’est un phare architectural. Je pense que le Stade olympique, c’est un lieu emblématique, un lieu qui fait en sorte que nous savons où nous nous trouvons. »
Les diverses controverses qui ont touché le stade, que ce soit lors de sa construction ou par la suite, ont cependant mis à mal ce sentiment d’attachement, du moins chez une certaine génération de Montréalais et de Québécois, convient Mme Baillargeon. Un sentiment qui, dit-elle, n’est heureusement pas présent chez les plus jeunes.
Toujours selon Taïka Baillargeon, le Parc olympique continue aux prises avec les problèmes liés à la transformation du site et à son adaptation en lieu plus accessibles aux habitants du quartier, bien loin de l’usage sportif international pour lequel le site a d’abord été conçu.
« C’est une oeuvre extrêmement remarquable, au niveau architectural », poursuit Mme Baillargeon.
Cette dernière reconnaît qu’avec les grands ensembles patrimoniaux, « et cela vaut aussi pour les autres types d’endroits, qu’ils soient culturels, institutionnels, ou encore religieux, avec un usage presque unique, il faut vraiment repenser de façon à avoir une plus grande mixité d’usage ».
Si, pour Héritage Montréal, « il faudrait quand même préserver l’esprit des lieux », advenant de grands travaux de transformation du stade pour en changer l’usage par le public, la porte n’est certainement pas fermée à un développement accru de l’offre en matière de loisir ou de divertissement.
« Déjà, réaménager l’extérieur (du stade), parce que c’est un peu labyrinthique; offrir davantage de services de proximité pour disposer d’une clientèle davantage présente en continu… », évoque Mme Baillargeon comme autant d’options pour l’aménagement architectural et urbaniste du stade et de ses environs.
Faut-il alors envisager de classer le Parc olympique (ou le stade uniquement) comme bâtiment patrimonial? « Un geste en ce sens serait extrêmement parlant », avance Mme Baillargeon.
« Il faut informer la population que le bâtiment dépasse les controverses et les échecs et les erreurs, et faire valoir, faire connaître, faire aimer. »
D’ailleurs, Montréal se distingue déjà de plusieurs autres villes, où les installations olympiques ont longtemps été laissées à l’abandon. Mais la directrice adjointe des politiques chez Héritage Montréal juge qu’ailleurs, des leçons peuvent être tirées quant aux méthodes visant à mieux revaloriser ces bâtiments conçus pour une très brève utilisation.
À terme, doit-on envisager de faire tomber le Stade olympique sous les pics et les pelles des démolisseurs? Poser la question, c’est y répondre: Montréal perdrait l’un de ses symboles architecturaux, l’affaire coûterait une somme sans doute astronomique, en plus de s’étirer sur des années, et il y a fort à parier que les habitants du coin auraient encore bien plus de raisons de se plaindre du bruit, de la poussière et du dérangement, eux qui sont déjà affectés par le réaménagement de l’avenue Pierre-de-Coubertin.
Le stade est là pour 100 ans, nous dit-on. Il faudra donc s’assurer de lui trouver une (ou des) vocation(s) qui lui permettront de traverses les décennies sans crainte.
La prochaine fois: un modèle d’affaires en transformation