Difficile, en quelques mots, de décrire le roman Mille secrets mille dangers d’Alain Farah, paru il y a quelques semaines chez Le Quartanier. Non pas parce que l’ouvrage échappe à toute classification, mais parce que l’on cherche encore, une fois la dernière page tournée, à caractériser le voyage littéraire que nous venons de conclure.
Alain va se marier; ou Alain vit son adolescence; ou encore Alain s’est déjà marié? Quoi qu’il en soit, pour Alain, son mariage avec Virginie ressemble à s’y méprendre au point d’orgue de son existence, ou encore au moment à partir duquel tout devrait aller pour le mieux. Enfin, c’est ce qu’on lui souhaite, même si on sait pertinemment que ce ne sera pas le cas.
D’ailleurs, que lit-on, au juste? Est-ce une fable? Un récit autobiographique? Une pure fiction? Les détails semblent pourtant trop précis pour être simplement inventés, comme cette connaissance de Montréal, cette évocation des lieux importants dans la vie de notre personnage principal. Ou est-ce seulement imputable à cette narration à la première personne, en plus d’appeler notre protagoniste du nom de l’auteur? Quoi qu’il en soit, le roman est massif, autant en termes de son nombre de pages, mais aussi de son contenu. L’enfance, l’adolescence, la vie adulte… les peurs, les espoirs, les conflits, les amours perdues… tout y est, dans ce livre. Avec, de surcroît, une bonne dose de réflexions sur l’immigration, l’intégration, l’identité sociale, politique, culturelle et religieuse de ceux qui viennent s’installer ici pour une vie meilleure.
Au coeur de ce récit titanesque, sans aucun doute, se situe une peur. Peur de l’avenir, peur que le passé ne revienne le hanter, peur d’être blessé, peur de cette maladie gastrique qui a rongé son père avant de le ronger, lui. Peur de tout et de rien. Peur de rater sa vie, aussi, même s’il convole en justes noces avec la femme qu’il aime.
Il y a un petit quelque chose de La vie, mode d’emploi, ce roman-fleuve de Georges Perec, dans Mille secrets mille dangers. Des discussions entre personnages entraînent souvent de lointains retours en arrière, des écarts qui se creusent, des explications qui s’étalent parfois sur des dizaines de pages. À travers les chapitres, justement, le lecteur découvre tout un monde dont on ne soupçonnait pas l’existence; tout le poids de la vie qui pèse sur Alain pèse éventuellement sur nos propres épaules.
Est-il bon, ce roman? Certains passages sont plus longs, notamment les échanges sur la religion chez le dentiste, le jour du mariage. Ou encore les retours sur la vie amoureuse naissante du jeune Alain, que l’on aimerait prendre par les épaules, histoire de le secouer quelques secondes et lui dire que personne ne vaut la peine de se mettre à se point en colère, jusqu’à avoir envie de tuer l’un de ses meilleurs amis. Mais tout cela, ce sont des leçons justement tirées d’expériences passées. Peut-être se reconnaît-on un peu trop dans certains aspects de la vie du personnage principal. Peut-être est-on en colère contre l’auteur, mais aussi contre nous-mêmes, d’avoir en quelque sorte agi de façon similaire, à une époque heureusement révolue.
Roman étrange, roman prenant, Mille secrets mille dangers nécessite une bonne dose de volonté pour passer à travers ses 498 pages bien tassées. Pas parce que le tout est mal écrit, bien au contraire, mais parce que cette lecture entraîne tant de questionnements que personne ne sort indemne de l’exercice.